Une loi en matière de harcèlement moral est urgente et nécessaire
Nous l’avons vu récemment, malgré les discussions et quelques mesurettes, il n’existe pas de loi à proprement parler en matière de harcèlement moral au travail au Luxembourg.
Un arrêt récent de la Cour de cassation française marque encore plus l’écart qu’il y a dans le traitement des affaires de harcèlement moral entre pays voisins.
Cet arrêt en effet, presque passé inaperçu, met en avant le fait pour un salarié qui a dénoncé certains faits de les qualifier de harcèlement pour pouvoir se placer sur le terrain de la nullité du licenciement.
En d’autres termes, il faut qu’un salarié qui dénonce des agissements qualifie dans son courrier les faits qu’ils détaillent de « harcèlement moral » pour obtenir protection contre toute forme de licenciement.
Nos voisins ont cette chance de pouvoir faire bénéficier à leurs travailleurs d’une loi relative au harcèlement moral. Cette dernière prévoit notamment qu’il est interdit de licencier un salarié au motif que celui-ci a relaté des agissements de harcèlement moral. La rupture du contrat de travail intervenue dans ces conditions est nulle (c. trav. art. L. 1152-2 et L. 1152-3).
En l’espèce, un cadre dirigeant avait adressé à l’employeur un courriel dans lequel il dénonçait le traitement « abject, déstabilisant et profondément injuste » que l’entreprise lui faisait subir. Jugeant ces accusations sans aucun fondement, l’employeur avait licencié l’intéressé en invoquant un abus dans l’exercice de sa liberté d’expression (à différencier par ailleurs de la critique objective qui est libre).
La cour d’appel avait prononcé la nullité du licenciement, considéré comme une mesure de rétorsion consécutive à la dénonciation de faits de harcèlement moral.
Or, la Cour de cassation note qu’à aucun moment le salarié n’avait qualifié d’agissements de harcèlement moral les faits qu’il dénonçait.
Dans ses conditions, il était impossible de se placer sur le terrain de la nullité du licenciement. La question était en réalité de savoir si le salarié avait abusé ou non de sa liberté d’expression et s’il pouvait prétendre à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par conséquent, la Cour de cassation a cassé la décision de la cour d’appel, qui avait ordonné la réintégration du salarié et le paiement d’une indemnité de plus d’un million d’euros au titre des salaires qui aurait dû être perçus depuis le licenciement, et renvoie les parties devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée, pour qu’elle se penche à nouveau sur cette affaire.
Au Luxembourg, en l’absence d’un loi protectrice digne de ce nom, il faut appliquer le droit commun, c’est à dire l’article 1382 du Code civil (article relatif à la responsabilité). II appartient en effet au salarié de prouver les faits de harcèlement moral .
A cet égard, la jurisprudence exige que le salarié dénonce au préalable les faits de harcèlement dont il serait victime mettant ensuite à charge de l’employeur l’obligation pour ce dernier de faire cesser les agissement au risque de voir sa responsabilité engagée.
La chose est peu commode à mettre en pratique.
Si en France il appartient à l’employeur de prouver que les agissements de harcèlement moral ne sont pas avérés, en l’absence de loi il appartient au salarié de prouver qu’ils le sont. En effet, la loi française prévoit que le salarié doit, dans un premier temps, établir la matérialité des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Si le juge les reçoit, l’employeur doit, dans un second temps, prouver que les agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement. Au Luxembourg, la preuve revient entièrement au salarié, preuve parfois impossible à apporter alors que bien souvent le salarié est en détresse morale au moment des faits et parfois déjà dispensé de travail lorsqu’il se rend compte du traitement qu’il a subi.
Si en France, le salarié doit mentionner expressément les faits dont il est victime et les qualifier expressément de « harcèlement moral », en l’absence de loi, le salarié doit prendre garde aux termes qu’il utilise dans son courrier de dénonciation. En effet, et cela s’est déjà vu, le salarié qui dénonce des faits de harcèlement sans prendre garde aux mots qu’il utilise peut se voir licencier par son employeur qui y verrait un abus dans la liberté d’expression. On se retrouve alors dans une situation diamétralement opposée à nos voisins.
En d’autres termes, il faut se poser la question du retard continuel qui est pris dans l’adoption de cette loi au vu du nombre croissant de cas répertoriés de harcèlement moral (l’essentiel des consultations en cabinet derrière le licenciement abusif, l’un allant souvent avec l’autre, le licenciement étant la conclusion finale de l’œuvre destructrice du harceleur).