Violation des droits d’un employé de banque licencié en raison d’articles publiés sur le Web et couverts par la liberté d’expression
Dans son arrêt de chambre1, rendu ce jour dans l’affaire Herbai c. Hongrie (requête no 11608/15), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :
Violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’affaire concernait le licenciement du requérant de son poste au service des ressources humaines d’une banque parce qu’il était contributeur d’un site Internet consacré à des questions de RH.
La Cour a estimé en particulier que les juridictions internes ne s’étaient pas livrées à une mise en balance adéquate du droit à la liberté d’expression du requérant à l’aune du droit pour la banque de protéger ses intérêts commerciaux légitimes.
En particulier, elle a considéré, contrairement au juge interne, que les articles sur des sujets
intéressant un public professionnel pouvaient bénéficier de la protection de la liberté d’expression du simple fait qu’ils s’inscrivaient dans un débat général d’intérêt public.
Principaux faits
Le requérant, Csaba Herbai, est un ressortissant hongrois né en 1974 et habitant à Budapest.
En 2011, le requérant travaillait au service des ressources humaines d’une banque, O., et il
contribuait également à un site Internet dans lequel étaient postés des articles à caractère général sur les pratiques en matière de ressources humaines.
Au mois de février de cette année, la banque licencia le requérant au motif que les articles publiés par lui dans le site avaient violé les règles de confidentialité et nui à ses intérêts financiers. Elle ajouta que la situation du requérant dans son travail faisait qu’il disposait de renseignements dont la publication aurait été contraire aux intérêts commerciaux de la banque.
M. Herbai contesta son licenciement devant les tribunaux, la Kúria se prononçant en définitive en faveur de la banque et observant que son comportement avait pu présenter un risque pour les intérêts commerciaux de son employeur.
Le requérant forma un recours constitutionnel, soutenant que les tribunaux n’avaient pas tenu compte de son droit à la liberté d’expression. La Cour constitutionnelle le débouta au motif que le contenu du site Internet n’était pas protégé par la liberté d’expression en raison du fait que les articles ne concernaient pas des questions d’intérêt public.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme, le requérant se plaint de son licenciement motivé par les articles en ligne.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 2 mars 2015.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Jon Fridrik Kjølbro (Danemark), président,
Faris Vehabović (Bosnie-Herzégovine),
Iulia Antoanella Motoc (Roumanie),
Branko Lubarda (Serbie),
Stéphanie Mourou-Vikström (Monaco),
Georges Ravarani (Luxembourg),
Péter Paczolay (Hongrie),
ainsi que de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section.
Décision de la Cour
Article 10
Le requérant soutient que les articles qu’il a rédigés pour le site Internet étaient consacrés à des questions d’intérêt professionnel et public car ils concernaient des modifications des règles de l’impôt sur le revenu, mais d’une manière générale et sans lien direct avec son employeur. Or les tribunaux n’ont tenu aucun compte de la violation de son droit à la liberté d’expression qu’il en tirait.
Le Gouvernement estime que les articles n’étaient pas protégés par le droit à la liberté d’expression puisqu’ils ne contribuaient pas à un débat sur une question d’intérêt public. En tout état de cause, selon lui, la Cour constitutionnelle a statué conformément aux critères énoncés par la Cour européenne.
La Cour considère qu’elle doit rechercher si les tribunaux se sont livrés à la mise en balance nécessaire du droit à la liberté d’expression du requérant, dans le contexte de sa relation
professionnelle, à l’aune du droit de son employeur à la protection de ses intérêts commerciaux.
La Cour retient quatre éléments quant à l’ampleur des restrictions possibles au droit à la liberté d’expression dans le cadre professionnel en cause : la nature des propos ; l’intention de l’auteur ; tout préjudice qui en aurait résulté ; et la gravité de la sanction.
Premièrement, la Cour estime, contrairement à la Cour constitutionnelle, que les propos en
question, qui visaient un public professionnel, étaient de nature à être protégés car ils présentaient les caractéristiques d’une discussion sur des questions d’intérêt public.
Deuxièmement, si les commentaires motivés par les conflits ou antagonismes personnels ne peuvent jouir d’un niveau élevé de protection, la Cour constate que les tribunaux internes n’ont vu aucune intention de la sorte dans les actions du requérant. Elle fait également sienne la thèse de ce dernier selon laquelle les questions évoquées sur le site Internet se rapportaient à une profession et visaient au partage des connaissances.
Concernant la troisième question, la Cour note que les tribunaux internes se sont concentrés sur la question du préjudice potentiel pour les intérêts commerciaux légitimes de la banque et de la possibilité que le requérant divulgue des renseignements commerciaux confidentiels. Or, alors que le droit interne offrait à l’employeur une certaine latitude pour déterminer quel comportement risquait de nuire aux relations de travail sans qu’une telle nuisance soit clairement manifeste, ni l’employeur ni la Kúria n’ont cherché à démontrer en quoi les propos en question avaient pu porter préjudice à la banque.
Sur la dernière question, il est clair que le requérant a subi une grave sanction car il a perdu son travail sans qu’une mesure moins lourde eût été envisagée.
La Cour ne voit donc aucune réelle mise en balance des intérêts en question, les deux juridictions supérieures ayant jugé que le droit à la liberté d’expression de M. Herbai soit n’était pas entré en jeu, soit n’avait aucune pertinence. L’issue du litige professionnel a été purement dictée par des considérations contractuelles entre la banque et le requérant, privant de tout effet le droit de ce dernier à la liberté d’expression.
La Cour conclut que les autorités internes n’ont pas démontré de manière convaincante que le rejet de la contestation de son licenciement par M. Herbai reposait sur un juste équilibre entre les droits de chacune des parties. Elles n’ont donc pas satisfait à leur obligation découlant de l’article 10 et il y a eu violation de cette disposition.
Satisfaction équitable (article 41)
La Cour dit que la Hongrie doit verser au requérant 10 000 euros (EUR) pour dommage moral et 4 800 EUR pour frais et dépens.
rapport de la cour.