La tenue et l’apparence du salarié

Jeans troués, vêtements en inadéquation avec l’image de l’entreprise, signes ostentatoires …, par principe, l’employeur ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. Si le droit de se vêtir à sa guise est bien une liberté individuelle, il ne s’agit pas d’une liberté fondamentale pour un salarié qui se trouve au temps et au lieu de son travail. De fait, l’employeur peut mettre en place des restrictions vestimentaires proportionnées et nécessaires au bon fonctionnement de son entreprise.

Restrictions vestimentaires pour des raisons d’hygiène et de sécurité.

Dans certaines situations, l’employeur peut (et même doit) imposer aux salariés le port de vêtements de travail et d’équipements de protection individuelle pour préserver leur santé et leur sécurité. C’est notamment le cas lorsque les situations de travail sont insalubres ou salissantes et/ou que le salarié doit pour des raisons impératives de sécurité porter des équipements de protections (chaussures de sécurité, casque, lunettes de protection, gants, etc.).  Par exemple, pour des mesures d’hygiène, l’employeur peut imposer le port d’une blouse de travail, il peut pour des mesures de sécurité, imposer une tenue de chantier avec un casque et des gants de manutention, ou encore, le port d’un vêtement isolant pour des manipulations de produits dangereux.

Ces restrictions sont non seulement proportionnées au but recherché (travail en sécurité), mais en plus, ils correspondent à une obligation : celle d’assurer la santé mentale et physique du salarié qui impose la mise en place de mesures de protection. S’il ne le faisait pas, il contreviendrait à son obligation de sécurité.

La conséquence de cette obligation de sécurité de résultat qui repose sur l’employeur, est l’obligation de sécurité qui repose sur le salarié : si l’employeur est responsable de la santé mentale et physique des salariés, le salarié n’en reste pas moins garant de sa propre sécurité mais également, de celle des personnes avec qui il travaille. Il en résulte que le fait pour un salarié de refuser ou d’omettre de porter sa tenue de protection permet à l’employeur de le sanctionner.

En ce sens, a été jugé régulier le licenciement d’un salarié pour le refus « justifié » de porter des chaussures de sécurité sur son lieu de travail : « dès lors que le port de chaussures de sécurité est obligatoire pour l’exercice du métier de couvreur, que l’employeur est tenu de veiller au respect de cette prescription par ses salariés, qu’en l’espèce la dispense de médicale dont bénéficiait l’intimé le rendait en fait inapte à exercer ses fonctions et mettait son employeur dans l’impossibilité de l’occuper dans le respect des règles de sécurité et que cette situation perdurait depuis deux ans sans perspective d’issue, l’employeur n’était pas tenu de la supporter plus longtemps et pouvait légitimement y mettre fin, de sorte que ce motif justifie à lui seul la résiliation avec préavis du contrat de travail » (C.S.J., 19/06/2008, 31997).

Restrictions vestimentaires pour des raisons de contact avec la clientèle.

Lorsque les salariés sont susceptibles d’être en contact avec la clientèle de l’entreprise, l’employeur a la faculté de justifier en raison de nécessités professionnelles, de mettre en place des restrictions en matière vestimentaire. C’est ainsi que le port d’un uniforme ou d’un insigne, caractérisant l’appartenance à l’entreprise peut être imposé par l’employeur dès lors que celui-ci est en mesure de démontrer que cette exigence est liée, dans l’intérêt de la clientèle, à l’exercice de certaines fonctions. A titre d’exemple, un vendeur en magasin peut être contraint à porter une tenue permettant de caractériser sa fonction sur son lieu de travail. De la même manière, le port d’un uniforme peut être imposé dans un grand hôtel aux personnes en lien avec la clientèle.

La problématique se complexifie lorsque l’employeur n’impose pas le port d’une tenue particulière, mais compte exiger le port d’une tenue « correcte » aux salariés (notion plutôt subjective) qui sont en contact avec la clientèle. En effet, à défaut d’un uniforme particulier fourni par l’employeur, la question de la liberté de se vêtir reprend toute sa vigueur. Pour autant, au regard des différentes positions adoptées par les tribunaux, il est possible de dégager une certaine tendance. A notre sens, un employeur peut interdire à un salarié en contact avec la clientèle de se présenter au travail en survêtement. De la même manière, un employeur peut imposer le port le pantalon, au lieu d’un bermuda, sous leur blouse de travail.

Restrictions vestimentaires lorsque les salariés ne sont pas en contact avec la clientèle.

Le fait de ne pas être en contact avec la clientèle ne retire en rien le respect du devoir de loyauté vis-à-vis de son employeur. De fait, à notre sens, le salarié se doit de respecter les « codes » de l’entreprise même lorsqu’il n’est pas en contact avec la clientèle. De fait, si de simples négligences ne peuvent justifier un licenciement, celles-ci ont tout de même certaines limites. Le comportement d’un(e) salarié(e) portant des vêtements moulants ne caractérise pas en soit un abus préjudiciable à l’entreprise permettant à l’employeur d’envisager une sanction. En revanche, la Haute juridiction en France a admis le licenciement d’une salariée qui persistait à travailler vêtue d’un chemisier transparent sans soutien-gorge car sa tenue suggestive pouvait susciter un trouble dans l’entreprise.[1]

Tout est ici question d’appréciation par les juges. Il a été jugé en revanche au Luxembourg que le port du jeans par une vendeuse ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement sous peine de porter atteinte aux libertés individuelles, ce d’autant plus que le port du jeans n’a pas porté atteinte à l’intérêt et au bon fonctionnement de l’entreprise ( TA, 11/06/1992, 2044/92).

Restrictions vestimentaires et liberté religieuse.[2]

L’employeur peut restreindre la liberté de se vêtir lorsque ces restrictions sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et qu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Il est nécessaire en outre, que les restrictions soient proportionnées au but recherché.

Par principe, les décisions visant à répondre à des impératifs d’hygiène et de sécurité seront justifiées et proportionnées. L’employeur peut donc justifier des restrictions à la liberté religieuse ainsi qu’à la liberté de se vêtir afin d’imposer le port d’un équipement de protection, comme une tenue stérile ou un casque de sécurité. Il peut également interdire le port de certaines tenues, en raison de sa conséquence en matière de sécurité et d’hygiène au travail.

Au-delà des questions d’hygiène et de sécurité, la question du port de signes ostentatoires a fait l’objet d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne le 14 mars 2017. Il en résulte qu’une entreprise peut imposer des restrictions au port visible de signes de convictions politiques, philosophiques ou religieuses si cette règle interne vise indifféremment toute manifestation de telles convictions et ne concerne que les salariés en contact avec la clientèle (CJUE 14 mars 2017, aff. C-157/15). En fait, l’employeur ne peut restreindre le port de signes qu’en posant une règle collective de neutralité pour les postes en contact avec la clientèle, pour l’image de marque de l’entreprise. En effet, selon les magistrats de la CJUE, la demande ponctuelle d’un client ne justifie pas une différence de traitement à l’égard du salarié en contact avec ce client et portant un signe religieux déterminé. (CJUE 14 mars 2017, aff. C-188/15).

Conclusion.

Nous l’aurons compris, si l’intérêt de l’entreprise ou les impératifs d’hygiène et de sécurité le nécessitent, le port d’une tenue particulière peut être requis. En revanche, un employeur ne peut imposer le port d’une tenue vestimentaire, d’une coiffure ou d’un maquillage pour des raisons d’ordre purement esthétique.

 

Etude GIABBANI, avocats spécialisés en droit du travail

[1] Cass. soc. 22 juillet 1986, n° 82-43824 D

[2] Voir également notre article : « Interdire le port de signe politique, philosophique ou religieux en entreprise : une possibilité sous conditions ». https://etudegiabbani.lu/droit-du-travail/interdire-port-de-signe-politique-philosophique-religieux-entreprise-possibilite-conditions/

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