Surveillance du salarié sur le lieu de travail – licéité de la preuve (oui) – secret de la correspondance
L’appelante, se référant à l’article 7 du contrat de travail qui stipule que le matériel informatique mis à disposition du salarié doit fait l’objet d’un usage strictement professionnel et doit être restitué à première demande à l’employeur en cas de rupture du contrat de travail, fait valoir qu’elle aurait découvert les courriers électroniques litigieux lors d’un traitement occasionnel, à la fin du contrat, alors qu’elle voulait clôturer les affaires en cours et facturer les services rendus par son salarié aux clients respectifs.
Il ne s’agirait dès lors pas d’une surveillance continue et exclusive prohibée par la loi.
Aux termes de l’article L.261-1 du Code du travail :
« (1) Le traitement des données à caractère personnel à des fins de surveillance sur le lieu de travail peut être mis en oeuvre, conformément à l’article 14 de la loi du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel, par l’employeur s’il en est le responsable.
Un tel traitement n’est possible que s’il est nécessaire:
1. pour les besoins de sécurité et de santé des salariés, ou
2. pour les besoins de protection des biens de l’entreprise, ou
3. pour le contrôle du processus de production portant uniquement sur les machines, ou
4. pour le contrôle temporaire de production ou des prestations du salarié, lorsqu’une telle mesure est le seul moyen pour déterminer le salaire exact, ou
5. dans le cadre d’une organisation de travail selon l’horaire mobile conformément au présent code.
Dans les cas visés aux points 1, 4 et 5, le comité mixte d’entreprise, le cas échéant institué, a un pouvoir de décision tel que défini à l’article L. 423-1, points 1 et 2.
Le consentement de la personne concernée ne rend pas légitime le traitement mis en oeuvre par l’employeur.
(2) Sans préjudice du droit à l’information de la personne concernée, sont informés préalablement par l’employeur : la personne concernée, ainsi que pour les personnes tombant sous l’empire de la législation sur le contrat de droit privé: le comité mixte ou, à défaut, la délégation du personnel ou, à défaut encore, l’Inspection du travail et des mines; pour les personnes tombant sous l’empire d’un régime statutaire: les organismes de représentation du personnel tels que prévus par les lois et règlements afférents. »
Un arrêt de la Cour de Cassation du 22 novembre 2007 ( cf : CASS. 22 novembre 2007, N° 57/2007, pénal, n° 2474 du registre) a retenu, au sujet d’images prises par une caméra installée sans autorisation de la part de la CNPD et invoquées comme preuve dans un procès pénal, que le juge ne peut écarter péremptoirement une preuve obtenue illicitement et « ce n’est que si le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité, si l’irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve ou si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable qu’il convient de l’écarter, ce qui est laissée à l’appréciation du juge qui doit tenir compte des éléments de la cause prise dans son ensemble y compris le mode d’obtention de la preuve et les circonstances dans lesquelles l’illicéité a été commise ».
En matière de droit du travail, si les intérêts de l’entreprise l’exigent et que certaines conditions sont remplies, il doit être permis à l’employeur de porter atteinte à la vie privée de son salarié, ce d’autant plus que l’inviolabilité absolue des correspondances risque d’inciter des salariés indélicats à y loger des dossiers plus ou moins illégaux. Il en suit, d’une part, que pour constituer une preuve illicite, le document versé aux juridictions du travail pour preuve des agissements fautifs du salarié doit porter sur des données à caractère personnel et privé du salarié, dans lequel cas l’ingérence commise par l’employeur dans la sphère privée du salarié est illégitime et disproportionnée, d’autre part, qu’il n’est pas permis à un employeur de mettre le poste de travail du salarié, à savoir toutes les applications de son ordinateur, y compris sa messagerie, sous un contrôle exclusif et régulier.
Si donc en vertu de son pouvoir de gestion et de direction, l’employeur peut surveiller l’activité de ses salariés, tous les modes de preuve ne sont pas admissibles et notamment l’intimité de la vie privée limite la marge de manoeuvre du chef d’entreprise. Le salarié a ainsi droit, même au temps et lieu de travail, au respect de sa vie privée qui implique en particulier le secret de la correspondance dont font partie les courriers électroniques reçus et envoyés par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ce même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur.
En l’espèce, hormis le courrier électronique du 9 avril 2015, envoyé à l’adresse privée de sa compagne, il n’est pas établi que les courriers électroniques litigieux auraient été stockés dans un fichier privé.
Par ailleurs, il ne résulte pas à suffisance de droit des éléments du dossier que l’employeur aurait enregistré les données du salarié et effectué une surveillance régulière et non occasionnelle. En effet, il n’a découvert les courriers électroniques litigieux qu’après la remise du matériel informatique par son salarié, suite à son licenciement avec préavis, en effectuant une recherche ponctuelle dans sa boîte mail professionnelle.
La Cour, contrairement aux juges de première instance, est partant d’avis qu’il n’est pas établi que l’employeur aurait effectué une surveillance continue et exclusive prohibée par la loi, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’écarter les pièces litigieuses. (C.S.J., VIII, 31/05/2018, 43972).