SALAIRE IMPAYE PAR L’EMPLOYEUR – LIBERATION – PREUVE
Aux termes de l’article 1315 du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
Aux termes de l’article 1341 du Code civil, il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de tous actes juridiques portant sur une somme ou valeur excédant celle qui est fixée par règlement grand-ducal, même pour dépôts volontaires, et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre.
Le règlement grand-ducal du 1er août 2001 (Mém. 2001, p. 2449) a fixé cette somme limite au montant de 2.500,- EUR.
En l’espèce, la société SOC1.) invoque, à l’appui de sa libération d’une partie de sa dette d’arriérés de salaires, une quittance bancaire attestant le prélèvement de la somme de 10.245,- EUR du compte de la société SOC1.) et le reçu de cette somme par C.), gérant de la société SOC1.).
Sur cette quittance figure encore une signature, qui ressemble à celle du salarié (A.)) figurant sur le contrat de travail et la date du 19.08.2015 manuscrite, ainsi que l’indication écrite en majuscule «CASH ?».
Si en première instance, les juges n’ont pas mentionné ni l’article 1341 ni l’article 1347 du Code civil tout en considérant la quittance du 19 août 2015 ensemble le témoignage de B.) comme preuve de la libération de l’employeur, les dispositions dudit article, qui ne sont pas d’ordre public (cf. Civ. fr. 1ère, 5 novembre 1952, Bull.civ.I, no.286), s’imposent néanmoins aux juges, dès lors que les parties n’y ont pas explicitement ou tacitement renoncé (cf. Civ. fr. 3ème, 16 novembre 1977, Bull.civ.III, no.393).
Dans son acte d’appel, A.) a expressément demandé l’application de l’article 1341 du Code civil, qui a vocation à s’appliquer, étant donné que la preuve du paiement invoqué par la société SOC1.) et sa libération de sa dette de salaires envers le salarié doit être rapportée selon les modes civils de preuve.
En l’espèce, l’écrit en question ne répond pas aux exigences de l’article 1341 du Code civil, dès lors que, abstraction faite de l’authenticité de la signature alléguée, il ne comporte aucune mention de réception par le signataire allégué et il n’en ressort pas que A.) a reçu la somme de 10.245,- EUR débitée du compte de la société SOC1.).
En ce qui concerne le commencement de preuve par écrit visé par l’article 1347 du Code civil, deux conditions sont évoquées: l’écrit doit émaner de celui à qui on l’oppose et il doit rendre vraisemblable le fait allégué (Jurisclasseur, contrats et obligations, preuve testimoniale, commencement de preuve par écrit, art. 1341 à 1348, fasc. 50, édit. juin 2013, n° 40).
En principe, tout acte par écrit rentre dans le champ de l’article 1347 du Code civil, étant précisé qu’en l’espèce les extraits de compte bancaire dont l’intimée se prévaut constituent des écrits, au sens du prédit texte.
La jurisprudence retient que, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’écrit invoqué doit être l’œuvre personnelle de la partie à laquelle on l’oppose, soit qu’il émane d’elle, soit qu’il émane de celui qu’elle représente, sans qu’il y ait lieu de distinguer si cette partie a, dans l’instance, la position de demandeur ou de défendeur (Cass. 25 juin 1987, 27, 119).
Le commencement de preuve par écrit, sorte de demi aveu doit être l’émanation de la personne à qui on l’oppose, de la personne contre laquelle la demande est formulée; il ne peut donc émaner, ni du demandeur, ni d’un tiers (Jurisclasseur, contrats et obligations, preuve testimoniale, commencement de preuve par écrit, art. 1341 à 1348, fasc. 50, édit. juin 2013, n° 51).
Le principe que l’on ne peut admettre l’écrit venant d’un tiers a été très tôt repris par les juges et est constamment rappelé. Ainsi la Cour de cassation française a décidé que, viole l’article 1347 du Code civil, une cour d’appel admettant divers documents bancaires (et des attestations de témoins) pour prouver un prêt, alors que ces documents n’émanaient pas des personnes auxquelles ils étaient opposés. (Cass. 1re civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577 : JurisData n° 2003-021252 ; Jurisclasseur, contrats et obligations, preuve testimoniale commencement de preuve par écrit, art. 1341 à 1348, fasc. 50, édit. juin 2013,
n° 56).
La jurisprudence admet des exceptions à ce principe, la première tenant au fait de l’approbation ou de l’appropriation de l’écrit par celui auquel il est opposé et la seconde tenant au mandat. Quant à la première exception, la jurisprudence accepte parfois un écrit émanant d’un tiers, étant précisé que ce n’est qu’à la condition que la personne à qui on entend l’opposer l’ait approuvé ou se le soit approprié, l’approbation pouvant être tacite, compte tenu des relations existant entre l’auteur de l’écrit et la personne à qui on l’oppose (Jurisclasseur, Contrats et Obligations, Preuve testimoniale, Commencement de preuve par écrit, art. 1341 à 1348, fasc. 50, édit. juin 2013, n° 57 et 58).
En l’espèce, à défaut de relation entre, d’un côté, l’auteur de l’écrit, la banque de la société SOC1.) et, d’un autre côté, A.), à défaut d’approbation de la part de A.) de l’écrit en question ou d’un mandat, l’extrait du compte bancaire ne saurait être assimilé à un commencement de preuve par écrit et être complété par un témoignage. Il s’ensuit que l’attestation testimoniale produite par l’intimée est irrecevable.
A défaut d’autre preuve que la somme de 10.245,- EUR a été payée à A.) en paiement de ses salaires pour les mois de mai à juillet 2015, sa demande en paiement du montant de 14.645,03 EUR au titre d’arriérés de salaires est fondée et il convient de réformer le jugement entrepris à cet égard. ( C.S.J. 22/11/2018, 44413).