Recevabilité d’un enregistrement considéré comme déloyal (oui).
La Cour européenne des droits de l’homme ne retient pas par principe l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales. Elle estime que, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence. Elle ajoute que « l’égalité des armes implique l’obligation d’offrir, dans les différends opposant des intérêts à caractère privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ». Elle souligne que ce texte implique notamment à la charge du juge l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre (CEDH, arrêt du 13 mai 2008, N.N. et T.A. c. Belgique, req. n° 65087/01).
En matière pénale, la Cour de cassation considère qu’aucune disposition légale ne permet au juge répressif d’écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale (v. notamment, Crim. 11 juin 2002, n° 01-85.559, Bull. crim. 2002, n° 131), le principe de loyauté de la preuve s’imposant, en revanche, aux agents de l’autorité publique (Ass. plén., 10 novembre 2017, n° 17-82.028, Bull. Ass. plén. 2017, n° 2).
Enfin, soulignant la difficulté de tracer une frontière claire entre les preuves déloyales et les preuves illicites, et relevant le risque que la voie pénale permette de contourner le régime plus restrictif des preuves en matière civile, une partie de la doctrine suggère un abandon du principe de l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales.
Aussi, il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce, pour déclarer irrecevables les pièces litigieuses, après avoir relevé que celles-ci constituent des transcriptions d’enregistrements clandestins des entretiens des 28 septembre et 7 octobre 2016, l’arrêt retient qu’ayant été obtenues par un procédé déloyal, elles doivent être écartées des débats.
En statuant ainsi, la cour d’appel, à qui il appartenait de procéder au contrôle de proportionnalité tel qu’énoncé au paragraphe 12, a violé les textes susvisés.
Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, 20-20.648, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)