Le pouvoir disciplinaire de l’employeur mis à l’épreuve par la jurisprudence

Par principe, l’employeur bénéficie dans son entreprise d’un pouvoir de direction et de sanction permettant de prendre les mesures disciplinaires qu’il souhaite voir appliquer à l’encontre de son salarié. Ces mesures peuvent être très variés et aller du simple avertissement jusqu’au licenciement. Néanmoins, là où naguère l’employeur bénéficiait d’une grande liberté dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, la Cour d’appel, dans un arrêt rendu le 30 mars 2017, a posé les limites de cet exercice.

Dans cette affaire, un salarié d’une administration communale s’est vu prononcé à son encontre une sanction disciplinaire prévue par la Convention collective consistant en une rétrogradation dans une classe de rémunération inférieure. Le salarié ayant subi un impact important sur son salaire mensuel a saisi le Tribunal du travail pour voir la sanction disciplinaire ainsi prononcée être annulée.

Suite à l’annulation de la sanction en première instance, appel fut interjeté par l’administration communale en faisant valoir que la Convention collective applicable au contrat de travail du salarié est suffisamment précise pour pouvoir être appliquée étant donné qu’elle énumère un catalogue de sanctions avec huit degrés différents. La Convention aurait ainsi défini, dans un degré suffisant de certitude, la nature et le degré de la sanction susceptible d’être infligée, d’autant plus qu’il y aurait lieu de faire une analyse globale et non une analyse limitée de la Convention.

Rappelons dès à présent que la Convention collective instaure pour les entreprises un vaste champ de règle propre à leur secteur d’activité complétant les règles du code du travail en fonction des besoins et spécificités de chaque secteur, et notamment des normes à l’égard des sanctions disciplinaires.

L’employeur fait également valoir que les sanctions disciplinaires dont il peut faire usage ne devraient pas être associés à une sanction pénale, de sorte que le principe de légalité, instaurant comme principe que « nulle peine ne peut être appliquée qu’en vertu d’une loi » selon la Constitution, ne saurait être transposée en l’espèce. Ainsi, selon cette interprétation toute faute commise par un salarié dans l’exercice de ses fonctions pourrait être sanctionnée même sans texte, à l’inverse d’une infraction pénale.

Néanmoins, pour le salarié l’interprétation est tout autre. En effet, selon lui, la formulation utilisée par la Convention collective ne répond pas au principe de la légalité des peines, qui ne s’appliquerait, par conséquent, pas uniquement en matière pénale mais également aux sanctions disciplinaires prévues par une Convention collective. Il avance à ce titre que ladite Convention ne définirait pas en des termes suffisamment clairs et précis les infractions, ce qui ne permettrait pas aux intéressés de mesurer non seulement la nature et le type des agissements sanctionnables, respectivement de prévoir les sanctions auxquelles ils s’exposent en cas de manquement. En l’espèce, la formulation prévue par la Convention collective « rétrogradation dans une classe de rémunération inférieure » ne permettrait donc pas au salarié de savoir à quel groupe il risque d’être affecté ou sur quelle période la rétrogradation va s’opérer.

Se posait donc à la Cour une question épineuse à savoir est ce que l’employeur bénéficie de toute latitude pour sanctionner son salarié ? En d’autres termes, est ce que le principe de légalité est applicable en matière disciplinaire lorsqu’une convention collective prévoit une échelle de sanction ?

A titre préliminaire, la Cour rappelle qu’en droit disciplinaire, la légalité des peines suit les principes généraux du droit pénal et doit observer les mêmes exigences constitutionnelles, conventionnelles et règlementaires de base. Elle poursuit de manière plus précise en instaurant un véritable bouleversement dans le droit disciplinaire que nous connaissions jusqu’alors. En effet, elle met en avant le fait que même si le droit disciplinaire tolère, dans l’établissement des peines à encourir, une certaine marge d’appréciation à l’autorité qui prononce la sanction, la peine doit cependant pouvoir se déterminer en fonction de critères préétablis suffisamment précis pour permettre à la personne concernée de prévoir avec une sureté suffisante l’importance de la peine qu’elle risque d’encourir en cas de manquement avéré.

Or, la Cour constate que le libellé de la sanction litigieuse en l’espèce, à savoir la « rétrogradation dans une classe de rémunération inférieure », est trop vague et imprécise pour permettre au salarié de prévoir la sévérité de la sanction susceptible de lui être infligée. En effet, le libellé ne précise pas les critères déterminants du choix de la catégorie salariale dans laquelle la personne risque d’être placée, si bien que l’employeur peut modifier à sa guise la catégorie en la faisant passer à un niveau nettement inférieur puisque le texte n’instaure pas de limites à cette rétrogradation. En outre, aucune référence n’est faite quant à la durée dans le temps de l’application de la sanction, respectivement au délai éventuel à attendre avant que le salarié ait de nouveau droit à une promotion ou à un avancement en fonction de son ancienneté.

Partant, au vu de son analyse, la Cour d’appel confirme l’annulation de la sanction disciplinaire prononcée par la juridiction de première instance ayant accordé la demande du salarié en paiement de la différence entre son ancien salaire et le salaire qu’il a perçu suite à sa rétrogradation.

Par conséquent, une attention toute particulière devra être apportée aux formulations des sanctions applicables dans les Conventions collectives. Une formulation trop large, trop vague, trop imprécise, impliquant un pouvoir d’interprétation de la part de l’employeur trop élevé, risque d’être déclarée comme contraire au principe de légalité et partant amener l’annulation de la sanction prononcée.

De là à dire que cet arrêt, instituant un véritable travail de formulation des sanctions applicables aux partenaires sociaux, voire une refonte complète des Conventions collective, puisse être applicable aux contrats de travail, il n’y a qu’une frontière mince à franchir. En effet, si une sanction trop imprécise est annulée pour une Convention collective, rien n’empêche la juridiction du travail d’en faire de même concernant une sanction trop imprécise rédigée dans un contrat de travail. Le travail de formulation n’est donc pas seulement applicable aux partenaires sociaux. Une attention toute particulière devra être apportée par l’employeur, lors de la rédaction du contrat de travail, à l’échelle des sanctions qu’il veut voir appliquer en cas de faute de son salarié. Néanmoins, le principe de précaution reste de mise puisqu’une formulation trop précise ou trop particulière des fautes et des sanctions applicables risque également d’enfermer le pouvoir disciplinaire de l’employeur plus que de raison et ainsi le limiter dans son choix de la sanction qu’il souhaite prononcer.

De surcroit, il est à noter que le Code du travail prévoit uniquement quelques sanctions disciplinaires applicables stricto sensu, notamment la mise à pied à titre conservatoire et le licenciement. Or, là encore, par application de cette nouvelle jurisprudence, tout porte à croire qu’une autre sanction que celles précitées, qui ne serait pas prévue par le contrat de travail ou la Convention collective, contreviendrait au principe de légalité. Faut-il dès lors penser que seul le licenciement puisse désormais être prononcé dans le cas où ni le contrat de travail, ni la Convention collective, ne prévoient de sanction ? Il est permis d’en douter puisque cette interprétation reviendrait à mettre un terme à un principe bien établi qui veut que l’employeur puisse appliquer une mesure plus favorable que celle prévue par la loi. Néanmoins, la jurisprudence mérite d’être précisée et nous ne manquerons pas de vous faire part des nouvelles décisions à ce sujet.

Cour d’appel, 30 mars 2017, n° 42278

David Giabbani

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