Notion d’ancienneté de service dans un groupe de sociétés.
Le concept d’ancienneté repose essentiellement sur l’idée de fidélité à l’entreprise. Par conséquent, c’est l’intégralité du service qui doit être prise en considération pour le calcul de l’ancienneté et ni la modification du statut du salarié, ni un simple transfert du salarié d’une société à une autre du même groupe, considéré comme entreprise unique et seul véritable employeur, n’a une incidence sur l’ancienneté qui commence donc avec l’entrée en service du salarié dans l’entreprise
Arrêt N°24/24 – VIII – TRAV, 7.03.2024, Numéro CAL-2022-00056 du rôle
Le concept d’ancienneté repose essentiellement sur l’idée de fidélité à l’entreprise. Par conséquent, c’est l’intégralité du service qui doit être prise en considération pour le calcul de l’ancienneté et ni la modification du statut du salarié, ni un simple transfert du salarié d’une société à une autre du même groupe, considéré comme entreprise unique et seul véritable employeur, n’a une incidence sur l’ancienneté qui commence donc avec l’entrée en service du salarié dans l’entreprise ( Cour d’appel, 7 mars 2019, n° 45250)
Ainsi le concept d’ancienneté se réfère à un lien d’entreprise de manière à totaliser, au-delà des découpages contractuels, toutes les périodes consacrées à moins qu’il y ait eu rupture du contrat, suivie en fait d’une interruption réelle de service, et ce n’est que dans ce cas, que la dernière période de service est seule prise en considération ( Cour d’appel, 16 mai 2013, n° 38061).
L’ancienneté à considérer pour la fixation des indemnités de préavis et de départ doit dès lors se calculer d’après les années passées sans interruption au service du même employeur. L’interruption marque un arrêt du cours de l’ancienneté, seule l’ancienneté ininterrompue pouvant être totalisée.
En l’occurrence, tel que relevé à juste titre par le tribunal du travail, il appartient à PERSONNE1.) de rapporter la preuve qu’il a travaillé continuellement, sans interruption auprès du même employeur, pour pouvoir prétendre à une ancienneté de services avec effet à partir du 20 novembre 2006.
Pour garantir au salarié ce droit, lorsque le changement se fait au sein d’un groupe de sociétés, le groupe doit être considéré comme ne constituant qu’une entreprise unique, à moins qu’il n’y ait rupture du contrat, suivi d’une interruption réelle de service
En effet, des sociétés juridiquement distinctes, comme en l’espèce, peuvent constituer en matière de droit du travail une unité économique et sociale considérée comme une seule entreprise. Les critères distinctifs sont au plan économique une concentration de pouvoirs de direction et des activités identiques sinon complémentaires, au plan social une communauté de travailleurs liés par les mêmes intérêts, ces deux types d’unité sont indispensables pour qu’il y ait unité économique et sociale.
Face aux contestations de la société SOCIETE1.), il appartient également à PERSONNE1.) de prouver que les sociétés SOCIETE1.) et SOCIETE2.) SAS constituaient entre elles une unité économique et sociale.
Il est établi au regard des pièces versées que suivant contrat de travail du 20 novembre 2006, PERSONNE1.) avait été engagé par la société SOCIETE1.) établie à Luxembourg, ADRESSE4.), en qualité de « chauffeur ». Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 2 mai 2010, il a été engagé en cette même qualité par la société de droit français SOCIETE2.) SAS. Aux termes de l’article 3 intitulé « ancienneté » de ce contrat, il est indiqué que « (…) Monsieur PERSONNE1.) est embauché avec une reprise d’ancienneté de 3,47 ans du 2 mai 2010 ».
Le contrat de travail de l’appelant conclu le 22 septembre 2014 avec la société SOCIETE1.) établie à ADRESSE4.), ne contient aucune disposition relative à une prétendue ancienneté de services du salarié auprès du groupe PERSONNE2.).
L’unité économique ne peut être reconnue que s’il existe une unité, ou la concentration des pouvoirs de direction et l’identité ou la complémentarité des activités. L’absence ou l’insuffisance de la concentration des pouvoirs de direction exclut la reconnaissance de l’unité économique et sociale (Cass. soc., 15 mai 2001 : Bull. civ. V, n° 173 ; Dr. soc. 2001, p. 777 , obs. J. Savatier ; JCP E 2001, 1479 , note F. Duquesne).
Cette condition est appréciée de manière assez stricte : un simple contrôle d’une société sur d’autres, une simple imbrication dans les pouvoirs de direction ne suffisent pas ( Cass. soc., 15 mai 2001, préc.).
L’unité ou la concentration du pouvoir de direction peut exister en présence d’un dirigeant unique ou encore d’associés communs aux diverses sociétés ( Cass. soc., 15 janv. 2002, n° 00-60.256 ). Le simple fait qu’une société appartienne à un groupe ou au même administrateur unique ne suffit toutefois pas pour constituer une unité économique et sociale ( Cour d’appel, 21 avril 2016, n° 41832 ).
Plusieurs éléments du dossier corroborent en l’espèce la thèse de PERSONNE1.) suivant laquelle les sociétés SOCIETE1.) et SOCIETE2.) SAS appartiennent à un même groupe de sociétés.
Il est d’abord un fait que les deux sociétés ont la même activité sociale et que la dénomination « PERSONNE2.) » apparaît dans les deux raisons sociales, sauf qu’une société est de droit luxembourgeois et l’autre de droit français.
PERSONNE1.) verse un extrait du site internet « (…) MEDIA1.) » qui renseigne entre autres ce qui suit :
« Les Transports SOCIETE1.) ont été fondés par M. PERSONNE4.) en 1973, depuis près de 40 ans notre société a su fidéliser ses clients tout en se développant.
D’abord installée à ADRESSE5.) à ses débuts, la société SOCIETE1.) est implantée à ADRESSE3.) et possède aussi des infrastructures à ADRESSE6.) et à ADRESSE4.) (L)
(…) ».
Les numéros de téléphone des deux sociétés sont mentionnés sur le même site internet.
Cet extrait témoigne bien du lien existant entre les sociétés SOCIETE1.) et SOCIETE2.).
La Cour relève également la similitude des activités des deux sociétés, et la similitude des contrats de travail versés en cause.
Ensuite, aucune lettre de licenciement, de démission ou de résiliation d’un commun accord des contrats conclus par le salarié en dates des 20 novembre 2006 et 2 mai 2010 n’est versée, étant rappelé que le second contrat, conclu avec la société de droit français SOCIETE2.) SAS mentionne à l’article 3 une ancienneté de services de l’appelant de 3,47 ans.
La société SOCIETE1.) reste également muette quant aux circonstances de la fin des deux contrats de travail des 20 novembre 2006 et 2 mai 2010, et n’indique pas non plus auprès de quelle autre société le salarié aurait encore travaillé, de sorte que son affirmation que l’ancienneté mentionnée à l’article 3 du second contrat viserait « une autre société », laisse d’être établie.
Or même si les éléments prédécrits constituent des indices relatifs à l’existence d’une unité sociale au sein des sociétés SOCIETE1.) et SOCIETE2.) SAS, il résulte de l’examen des documents prédécrits que contrairement à ce que fait plaider PERSONNE1.), il n’est pas établi que les deux sociétés avaient les mêmes administrateurs.
Il résulte des extraits du registre des bénéficiaires effectifs ( Lbr.lu) que les bénéficiaires effectifs de la société SOCIETE1.) sont PERSONNE3.), SOCIETE3.), épouse PERSONNE5.) et PERSONNE6.). Aucune indication n’est fournie quant à l’identité des administrateurs de cette société. Il est encore établi au vu du registre des bénéficiaires effectifs français que PERSONNE3.) est le bénéficiaire effectif et le dirigeant de la société SOCIETE2.) SAS.
Aussi, à défaut pour l’appelant d’avoir rapporté la preuve d’une unité économique au sein des sociétés SOCIETE1.) et SOCIETE2.) SAS, résidant dans une concentration des pouvoirs de direction entre les mêmes personnes, la durée des services du salarié est appréciée, dans le cadre de son activité au sein de la société SOCIETE1.) suivant le contrat de travail du 22 septembre 2014.
La Cour approuve partant le tribunal du travail d’avoir retenu que l’ancienneté de PERSONNE1.) ne remonte qu’au 22 septembre 2014 et qu’il a en conséquence rejeté ses demandes en allocation d’une indemnité compensatoire de préavis supplémentaire et d’une indemnité de départ.