Mutation et harcèlement moral

Ainsi que l’ont relevé à bon droit les premiers juges, l’engagement d’assurer à ses salariés des conditions de travail normales, découlant de l’obligation de l’employeur d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, oblige l’employeur, seul détenteur du pouvoir de direction et d’organisation de l’entreprise, à prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou faire cesser toute forme de harcèlement moral de nature à pouvoir nuire à la santé de ses salariés. 

Il doit ainsi répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une  autorité sur ses salariés.

La connaissance par l’employeur des faits de harcèlement moral est dès lors la condition sine qua non pour rendre fautive l’omission de prendre les mesures appropriées pour faire cesser les faits de harcèlement.

Cette connaissance s’opère par l’information donnée aux dirigeants de l’entreprise ayant pouvoir de faire cesser ou de prévenir les faits de harcèlement moral. Elle peut également s’opérer par l’information donnée aux personnes telles que les responsables de ressources humaines, les délégués du personnel ou les représentants syndicaux, ayant rencontré l’accord des dirigeants de recueillir à leur place cette information.

En l’espèce, il résulte des courriers versés en cause que la société B avait connaissance des problèmes rencontrés sur le chantier du X entre la responsable du chantier D et différentes salariées dont A et que celle-ci s’en était plainte auprès de son superviseur, respectivement auprès du directeur des ressources humaines dès février 2011.

Il se dégage en effet des courriers des 5 mars 2012 et 12 avril 2012 par lesquels le syndicat OGBL conteste la mutation du 9 février 2012 de A à un autre chantier, que cette décision constitua l’aboutissement des tractations entre parties à la suite des plaintes émises par A dès février 2011 au sujet du comportement vexatoire et humiliant de D responsable du site X à son égard.

Il s’en dégage notamment qu’en date du 2 mars 2011, il y avait eu un premier entretien avec G, directeur des ressources humaines à Bissen en présence d’F, secrétaire de l’OGBL et de A ; que suite à cette réunion, une plainte anonyme fut adressée à la société B portant dénonciation des faits de harcèlement moral reprochés à la responsable du site D, de surcroît déléguée du personnel, et demandant à l’employeur de prendre des mesures adéquates afin de mettre un terme à cette situation ; que le 9 décembre 2011, il y eut une nouvelle réunion dans les bureaux de l’employeur à (…) en présence des responsables de la société B, puis en date du 25 janvier 2012 une autre réunion lors de laquelle H de la société B fit part du résultat de l’enquête interne ; que par lettre du 9 février 2012, A fut informée qu’en vertu de l’article 3 de son contrat de travail, elle serait affectée à partir du 15 février 2012 au chantier Y.

Il se dégage du comportement de la société B ci-avant retracé que celle-ci avait été avisée de manière suffisamment précise de faits donnant à penser qu’il y avait eu harcèlement moral de la part de la responsable du site D à l’égard de A ; que par l’intermédiaire de ses dirigeants, en l’occurrence G,  directeur administratif et des ressources humaines et membre du Comité de Direction, et H, directeur général, la société B avait en effet participé à des réunions communes avec la salariée et un représentant de l’OGBL, qu’elle avait déclenché une enquête interne et avait en définitive pris une mesure de changement d’affectation du service de la salariée.

Il résulte des développements qui précèdent et sans qu’il n’y ait lieu de procéder à une mesure d’instruction complémentaire que la société B connaissait les doléances A relatives aux agissements de la responsable du site D et qu’il devient surabondant d’examiner encore si E avait, en sa qualité de superviseur des travaux de A, également été habilité à recevoir ces informations.

A critique encore la décision de mutation intervenue à son égard au motif qu’elle constitue une sanction cachée, dans la mesure où les nouveaux horaires ont rendu impossible la vie de famille d’une mère de trois enfants.

Elle se prévaut de l’attestation testimoniale de I reprenant les termes employés par le superviseur E suite à sa nouvelle affectation « Ce sera pareil pour celles qui feront pareil. Ça va servir d’exemple aux autres femmes !».

La société B conteste cette imputation au motif qu’il n’y a que très peu de différence entre les anciens horaires fixés dans le contrat de travail et les nouveaux horaires fixés dans le courrier du 9 février 2012 et que l’attestation testimoniale de I est d’ores et déjà contredite par les certificats médicaux d’incapacité de travail versés en cause établissant que E était en arrêt de maladie durant la période du 30 janvier 2012 au 14 mai 2012 pendant laquelle il aurait fait les prédites déclarations. Elle soutient que la déclaration de l’auteur de l’attestation est encore peu crédible, alors qu’au vu de la pathologie d’ordre cardiaque à la base de l’arrêt de travail de E, il est peu probable que celui-ci se fût rendu pendant son arrêt de travail – même si les sorties n’étaient pas médicalement contre-indiquées – sur des chantiers dont il avait la responsabilité pour y faire des déclarations au sujet de A.

Elle soutient encore que A a laissé s’écouler plus d’une année avant de déposer une requête en dédommagement de son préjudice moral et l’état dépressif invoqué par A du fait de harcèlement moral n’est pas établi au vu des certificats médicaux versés en cause.

Le contrat de travail prévoit sub point 3 « lieu de travail » :

En raison du caractère spécifique de l’activité de l’employeur et plus particulièrement qu’impose la tâche du (de la) salarié (e ), cette dernière (ce dernier) peut être occupé (e ) selon les besoins de l’employeur à différents endroits (chantiers au Luxembourg)

L’occupation de l’ouvrier ne se limite pas à un chantier fixe. L’ouvrier pourra être affecté avec motivation écrite à un autre lieu de travail au Grand-Duché de Luxembourg ou dans la région frontalière suivant les besoins de l’entreprise. 

Le contrat de travail prévoit encore sub point 5 « horaire et durée de travail » que : 

La durée contractuelle de travail est de 23 heures par semaine, répartie sur 6 jours et que l’horaire de travail sera :

–          de 16h30 à 19h30 les lundi et vendredi,

–          de 16h30 à 21h30 du mardi au jeudi

–          de 11h 45 à 13h45 le samedi.

(..) L’horaire ainsi que la durée de travail pourront varier en fonction des besoins de l’entreprise et en fonction d’une nouvelle affectation.

L’avenant du 26 mars 2007 constatant le transfert de A de la société C auprès de la société B prévoit encore que :

La durée de travail est fixée à 23 heures par semaine.

Toutefois, l’horaire de travail est mobile selon les besoins de l’employeur et suivant les besoins et les usages de la branche.

La salariée est d’accord à être transférée à tout moment à un autre lieu de travail lié à Luxembourg suivant les besoins de l’entreprise.  

Il résulte du courrier du 9 février 2012 de la société B que suite à une nouvelle réorganisation de travail du chantier X, A a été affectée à partir du 15 février 2012 au chantier Y à Luxembourg, et que :

« les horaires de travail seront du lundi au jeudi de 17 heures à 21 heures et le vendredi de 14 heures à 21 heures ».

La comparaison des anciens horaires de travail avec les nouveaux horaires permet de constater que les nouveaux horaires n’ont pas sensiblement varié et qu’ils ne rendent pas impossible la vie de famille d’une mère de trois enfants. S’il résulte de l’attestation testimoniale de J que son épouse a eu beaucoup de mal à accepter la nouvelle de son changement de site, il n’en résulte pas pour autant que les nouveaux horaires aient eu une incidence significative dans l’organisation de la vie familiale de A.

La Cour constate encore que l’attestation testimoniale de I au sujet des prétendus propos tenus par E « fin février ou début mars » se trouve en contradiction avec les certificats de maladie versés en cause établissant l’absence de E à son lieu de travail à cette époque et qu’elle manque par ailleurs de précision quant aux circonstances de temps et de lieu dans lesquelles les prétendus propos auraient été tenus, de sorte que la Cour ne saurait en tirer aucune conclusion quant au prétendu caractère punitif de la mesure prise par la société B.

Il suit des considérations qui précèdent que la décision de mutation prise par la société B n’a pas constitué, compte tenu du principe de mobilité et de flexibilité inscrite dans son contrat de travail et son avenant et au vu des nouveaux horaires de travail attribués à A une sanction cachée à l’égard de la salariée mais une mesure qui s’imposait pour prévenir, respectivement pour faire cesser les faits de harcèlement à son égard.

Il en découle qu’aucune faute par A n’est établie dans le chef de la société B, de sorte que la demande de A en obtention de dommages et intérêts du chef de dommage moral et matériel laisse d’être fondée.

L’appel n’est partant pas fondé et il y a lieu de confirmer, bien que partiellement pour d’autres motifs le jugement entrepris. (C.S.J., 28/04/2016, n°41470 du rôle).