Messagerie privée injurieuse et mise à pied

Le droit de l’employeur de surveiller l’activité de ses salariés se voit limité par le respect de l’intimité de la vie privée du salarié dont font nécessairement partie les discussions échangées sur ou à partir d’une messagerie privée.

(C.S.J., 3ème, 27.01.2022, numéro CAL-2021-00184 du rôle).

L’article L.261-1 du Code du travail figurant au « Titre VI – Traitement de données à caractère personnel à des fins de surveillance dans le cadre des relations de travail » dispose notamment que « (1) Le traitement de données à caractère personnel à des fins de surveillance des salariés dans le cadre des relations de travail ne peut être mis en œuvre par l’employeur que dans les cas visés à l’article 6, paragraphe 1er, lettres a) à f), du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), et conformément aux dispositions du présent article. (2) Sans préjudice du droit à l’information de la personne concernée, sont informés préalablement par l’employeur : pour les personnes tombant sous l’empire de la législation sur le contrat de droit privé : le comité mixte ou, à défaut, la délégation du personnel ou, à défaut encore, l’inspection du travail et des mines ; pour les personnes tombant sous l’empire d’un régime statutaire : les organismes de représentation du personnel tels que prévus par les lois et règlements afférents. Cette information préalable contient une description détaillée de la finalité du traitement envisagé, ainsi que des modalités de mise en oeuvre du système de surveillance et, le cas échéant, la durée ou les critères de conservation des données, de même qu’un engagement formel de l’employeur de la non-utilisation des données collectées à une finalité autre que celle prévue explicitement dans l’information préalable. (3) Lorsque le traitement des données à caractère personnel prévu au paragraphe 1er est mis en œuvre : 1. pour les besoins de sécurité et de santé des salariés, 2. pour le contrôle de production ou des prestations du salarié, lorsqu’une telle mesure est le seul moyen pour déterminer le salaire exact, ou 3. dans le cadre d’une organisation de travail selon l’horaire mobile conformément aux dispositions du présent code, les dispositions prévues aux articles L.211-8, L.414-9 et L.423-1 s’appliquent, sauf lorsque le traitement répond à une obligation légale ou réglementaire…». Le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 cité ci-avant, dispose au paragraphe 1er de l’article 6, intitulé « Licéité du traitement », que :

Le traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie:
a) la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques;
b) le traitement est nécessaire à l’exécution d’un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l’exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci;
c) le traitement est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis;
d) le traitement est nécessaire à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d’une autre personne physique;
e) le traitement est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement;
f) le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant…».

Or, la découverte des messages litigieux ne résulte pas de la mise en place par la société SOC 1) d’un traitement « de données à caractère personnel à des fins de surveillance des salariés dans le cadre des relations de travail », mais de la présence de certains de ces messages sur l’écran de l’ordinateur, mis à disposition de l’intimée par la société SOC 1), dans le cadre de son travail, alors que cet outil informatique était librement accessible, allumé et non protégé par un mot de passe.


La recherche ponctuelle subséquente effectuée par la secrétaire de direction dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée par son employeur, a permis de découvrir d’autres messages échangés au moyen de l’application privée « WHATSAPP », qu’A utilisait sur l’ordinateur de son poste de travail en le connectant à son téléphone portable.


Dans ces conditions, le tribunal du travail est à confirmer en ce qu’il a décidé que « la découverte des échanges « WHATSAPP » litigieux suite au licenciement avec préavis d’A lors d’une recherche ponctuelle de documents à sauvegarder avant la remise à zéro de l’ordinateur ne tombe, dès lors, pas sous la définition d’une surveillance continue et exclusive prohibée par l’article L.261-1 (1) du Code du travail ».


Tel que mis en exergue par la juridiction de première instance, le droit de l’employeur de surveiller l’activité de ses salariés se voit limité par le respect de l’intimité de la vie privée du salarié dont font nécessairement partie les discussions échangées sur ou à partir d’une messagerie privée.


Cependant, en l’espèce, il est établi et non contesté par l’intimée, que les messages litigieux ont été échangés sur l’ordinateur professionnel mis à sa disposition par son employeur, au moyen de l’application privée « WHATSAPP », qu’elle avait décidé d’y connecter, alors que les messages échangés n’étaient pas spécifiquement identifiés comme relevant de son intimité personnelle et privée et qu’ils étaient librement accessibles.

En laissant cet ordinateur allumé et non protégé par un mot de passe, permettant la lecture directe sur l’écran de certains des messages faisant partie de l’ensemble des échanges découverts par la suite, A a nécessairement conféré à ces messages un caractère professionnel, non protégé par le secret des correspondances.


Dans ce contexte, il est dès lors indifférent que l’intimée n’ait pas été présente lors de la découverte des messages en cause.


Faute de précisions et d’élément probant, la Cour ne saurait accorder crédit à l’affirmation de l’intimée que, lors de son départ précipité le jour de son licenciement en date du 21 février 2020, « elle a été pressée par la secrétaire de direction de l’appelante, de sorte qu’elle a été empêchée de se déconnecter de ses applications sur l’ordinateur et a seulement eu le temps de fermer ses applications et de récupérer son sac et ses quelques affaires ».


Aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de retenir qu’A aurait informé son employeur de la présence sur son ordinateur professionnel d’une messagerie qualifiée de privée, respectivement, aurait demandé le temps nécessaire pour l’effacer.


Contrairement à la décision du tribunal du travail, qui est à réformer sur ce point, le contenu de la messagerie découvert et consulté par la société SOC 1) dans les circonstances de l’espèce, pouvait par la suite être utilisé par l’employeur à l’appui de la mise à pied d’A.

Il ressort de la lecture du nombre élevé de messages échangés pendant le temps de travail, découverts sur la période de travail relativement courte d’A, que leur nature est souvent irrespectueuse, dénigrante et pour certains, gravement injurieuse, tant envers l’employeur, qu’envers la salariée C.


Ainsi le fait qualifier une collègue de travail de « lying bitch » , d’écrire que C, « is acting like a stupid ghetto girl » , de parler des collègues de travail dont C en les décrivant comme étant des « bloody lonely alcoholics », ne font qu’illustrer le comportement et l’attitude d’A envers ses collègues de travail et son employeur qui est décrit comme étant un « crazy boss » et dont la véritable ampleur découle de la totalité de messages, qu’il serait inopportun de reproduire dans leur intégralité.


Aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de confirmer que ces messages auraient été sortis de leur contexte. Les propos échangés sont clairs et non équivoques.


Aux termes de l’article L.124-10 (2) du Code du travail, le motif grave se définit comme étant « tout fait ou faute qui rend immédiatement et définitivement impossible le maintien des relations de travail ».


L’échange de ces messages totalement inappropriés est constitutif d’un comportement fautif d’une gravité telle que la poursuite de la relation de travail est devenue immédiatement et définitivement impossible.


Etant conforme aux dispositions de l’article L.337-1 (2) du Code du travail, la mise à pied d’A doit être déclarée justifiée, et la demande en résiliation du contrat de travail doit être déclarée fondée, par réformation du jugement entrepris