Licenciement et objectifs fixés oralement

La Cour donne à considérer, à l’instar de l’employeur, qu’en l’absence d’une clause contractuelle, il reste loisible à un employeur d’imposer oralement à ses salariés des objectifs à atteindre, soit unilatéralement, dans lequel cas ces objectifs doivent cependant être portés à la connaissance du salarié, mais encore être réalistes et réalisables, pour éviter tout arbitraire à ce niveau, soit fixés d’un commun accord des parties au contrat, dans lequel cas le salarié les a acceptés, mais encore admet qu’ils sont réalistes et réalisables. 

Les développements faits en la matière par l’employeur sont corrects en ce qu’ils relèvent qu’un employeur a la possibilité de procéder au licenciement individuel d’un salarié qui s’avère incapable de réaliser la tâche pour laquelle il a été employée, que l’employeur, en sa qualité de maître de l’organisation et de la gestion de son entreprise, peut unilatéralement et oralement  fixer des objectifs à atteindre par ses salariés, que la fixation d’objectifs pour une fonction telle que celle d’un commercial, est inhérente à cette dernière et entraîne nécessairement une évaluation de ce dernier sur base des résultats obtenus par rapport à ces objectifs. 

Il n’en reste pas moins vrai en matière de licenciement d’une part que les motifs mis en avant dans le courrier de motivation doivent non seulement être précis mais encore correspondre à la réalité et être sérieux. Autrement, ils ne peuvent justifier la résiliation de la relation de travail, la preuve de la réalité et du sérieux de l’ensemble des motifs d’une lettre de motivation et non pas seulement d’une partie de cette motivation, incombant exclusivement à l’employeur. D’autre part, pour constituer un motif valable de licenciement, l’insuffisance professionnelle, telle qu’elle est invoquée par l’employeur en l’espèce pour se séparer du salarié, doit être établie par des faits précis et doit être constatée sur une certaine durée. En matière de non-réalisation d’objectifs, ceux-ci doivent avoir été portés à la connaissance du salarié, être réalistes et réalisables et finalement dus à sa faute ou négligence et non à des facteurs externes.

La Cour relève qu’en l’espèce la lettre de motivation correspond parfaitement à l’exigence de précision prévue par la loi et la jurisprudence, dans la mesure où elle précise pour les trois années concernées, les objectifs à atteindre par le salarié au niveau du « gross income » et des « net new assets », ensuite les résultats négatifs obtenus par lui et enfin la sanction lui appliquée en terme de  réduction de son bonus annuel. 

En présence des contestations du salarié sur l’existence d’objectifs lui fixés oralement à l’avance par l’employeur et portés à sa connaissance, il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve. 

A cet effet, il formule l’offre de preuve dont le contenu a été intégralement repris ci-avant.

Or, de par sa généralité et son imprécision par rapport à une lettre de motivation exemplaire en matière de précision, dès lors que l’offre de preuve tente uniquement d’établir les usages en matière d’objectifs au sein de la société, elle n’est pas pertinente pour la solution du litige, dans la mesure où elle n’éclaire pas la situation personnelle du salarié.   

Il en suit partant que la réalité des objectifs que l’employeur affirme avoir fixés à son salarié dans sa lettre de motivation laisse d’être rapportée. 

Cette constatation est encore confirmée par les pièces soumises à l’appréciation de la Cour par l’employeur, dans la mesure où le tableau portant sur l’année 2010 ne renseigne aucun objectif concret à atteindre fixé à l’avance au salarié, ni d’ailleurs les tableaux portant sur l’année 2012, de sorte que seule la pièce correspondant à l’année 2011 indique les objectifs tels qu’il ont été précisés dans la lettre de motivation, à savoir a) gross income de 550.000 euros, b) net new assets de 20.000.000 euros, c) assets under management de 1.700.000,00 euros etc… . 

S’y ajoute que ni les pièces portant sur l’année 2010 ni celles portant sur l’année 2012 n’indiquent les résultats des autres salariés de la société placés dans une situation similaire à B,  de sorte qu’elles ne permettent pas une analyse comparative objective entre salariés de manière à évaluer objectivement et concrètement  le niveau de B.

Finalement, si la pièce relative à l’année 2011 fixe des objectifs concrets et permet la comparaison avec d’autres salariés, il en appert cependant, que les montants des objectifs fixés unilatéralement par l’employeur sont exorbitants, dès lors que les résultats atteints par les salariés, à la différence de ce que soutient l’employeur, sont tous de loin inférieurs à l’attente, de sorte qu’il y a lieu d’en déduire que ces objectifs n’étaient ni réalistes ni réalisables pour aucun des salariés indiqués sur cette pièce.

En effet et pour exemple, la comparaison des résultats des salariés auxquels l’employeur a imposé un objectif de 20.000.000 euros pour les assets, montre que deux salariés ont atteint un résultat de 350.000, les autres 1.300.000, 800.000, 400.000, 550.000 euros, de sorte que B, avec son résultat de 550.000 euros se situe, contrairement à ce que prétend l’employeur, dans une bonne moyenne.     

S’il est finalement avéré et non contesté par le salarié que le montant de ses boni a baissé chaque année, il n’est pas établi que la cause en soit son incompétence professionnelle, dès lors que d’après l’article 3 du contrat de travail, le bonus accordé au salarié annuellement est fonction non seulement des performances individuelles du salarié, mais encore des résultats de la banque, de sorte qu’en l’absence de preuve contraire, la baisse des boni de B, peut également être due à de mauvais résultats essuyés par la banque.   

Quoiqu’il en soit, à défaut d’avoir établi avoir porté à la connaissance du salarié les objectifs oralement fixés chaque année, à défaut d’avoir permis et établi pour chaque année en cause une comparaison entre salariés se trouvant dans la même situation que B, et finalement, en l’absence de preuve d’objectifs réalistes et réalisables, l’employeur n’a ni rapporté la preuve de la réalité des motifs du licenciement, ni et surtout le sérieux de ces motifs, de sorte que le jugement entrepris est à confirmer, certes pour des motifs légèrement différents, en ce qu’il a déclaré le licenciement abusif. (C.S.J., 28/01/2016, n°41925 du rôle).