Licenciement économique – précision des motifs (oui) – réalité et sérieux des motifs (oui)
En matière de licenciement économique, l’employeur doit non seulement révéler clairement les circonstances économiques qui ont conduit au licenciement, mais encore préciser les mesures de restructuration et de rationalisation nécessaires à la gestion moins coûteuse de l’entreprise et qui ont rendu nécessaire le congédiement du salarié.
Quant à la précision des motifs du licenciement :
La société S1 critique le jugement entrepris en ce qu’il a retenu le caractère
imprécis des motifs du licenciement. Elle fait valoir que le licenciement de A constitue un licenciement aux fins d’économies, alors qu’elle a dû faire face à une perte massive de clients dans son segment nettoyage. Elle aurait décrit les difficultés financières avec tous les détails nécessaires, l’importance des clients perdus et l’impact de leur départ sur le chiffre d’affaires. Elle aurait également décrit avec précision quelles étaient les mesures d’économies qui avaient été prises afin de tenter de stabiliser la situation économique sans recourir à des
licenciements.
L’appelante explique encore que le volet nettoyage qui faisait l’objet du contrat principal avec la S4 constituait le coeur de son métier, de sorte que si ce secteur faisait face à d’importantes pertes, toute son activité en subissait les conséquences. Le licenciement de l’intimé trouverait partant son origine dans sa volonté de réduire ses pertes.
Au vu de la jurisprudence, un tel objectif justifierait à lui seul le licenciement avec préavis pour des motifs économiques.
L’intimé demande de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu le
caractère imprécis de la motivation. Il soutient que l’employeur s’est limité à retracer de façon circonstanciée la dégradation progressive de sa situation financière à partir de 2012 et la liste des mesures prises, sans pour autant donner de précision quant aux attributions exactes lui incombant et sans préciser si la réduction du temps de travail du personnel relevant du secteur entretien des espaces verts affectait également son poste et était en lien causal avec la décision de se séparer de lui. Il n’y aurait pas non plus de précision quant aux salariés, notamment des intérimaires, engagés depuis son licenciement et aucune indication ne serait faite quant à l’envergure des chantiers restants, respectivement des nouveaux chantiers ou des chantiers qui ont été reconduits.
Dans le cadre d’un licenciement avec préavis, la précision des motifs est exigée pour permettre au salarié qui s’est vu résilier son contrat de connaître exactement le ou les faits qui justifient le licenciement, pour pouvoir juger ainsi, en pleine connaissance de cause de l’opportunité d’une action en justice et pour faire la preuve de la fausseté ou de l’inanité des motifs.
Elle a également pour but d’empêcher l’auteur de la résiliation d’invoquer a
posteriori des motifs différents.
En matière de licenciement économique, l’employeur doit non seulement révéler clairement les circonstances économiques qui ont conduit au licenciement, mais encore préciser les mesures de restructuration et de rationalisation nécessaires à la gestion moins coûteuse de l’entreprise et qui ont rendu nécessaire le congédiement du salarié.
En l’espèce, il y a lieu d’abord de relever que A ne peut, comme il l’a fait, se
plaindre, sous le couvert de la précision de la motivation, de la non existence des faits à l’appui de la motivation.
L’employeur indique que le licenciement est exclusivement motivé par la situation économique difficile de la société découlant de la perte en date du 27 janvier 2016, d’un de ses clients les plus importants, les S4, représentant 29 % du chiffre d’affaires total de la société, perte consécutive à la perte de nombreux autres chantiers, tous nommément désignés. L’employeur indique ensuite, que nonobstant la reprise du personnel qui était affecté au chantier S4 par le nouveau prestataire de services, il a dû faire face à une baisse considérable de son volume de travail.
L’employeur indique, par ailleurs, qu’afin de faire face à cette situation menaçante et dans l’espoir de stabiliser la situation, il avait déjà adopté plusieurs mesures (non remplacement de certains postes de direction, changement de politique de leasing, réduction des frais de publicité, réduction des frais de formation, réduction des frais de restauration, suppression des 13e mois et des gratifications pour l’année 2016).
L’employeur indique finalement qu’en dernier lieu, il a pris la décision de
supprimer les postes de certains collaborateurs, y compris les postes de salariés, dont celui de A, qui ne sont pas affectés à des chantiers et qui, selon l’employeur, ne sont pas indispensables pour faire face à la situation économique actuellement difficile de la société.
La motivation telle que plus amplement détaillée dans la lettre du 6 avril 2016 a permis à A de savoir pour quelles raisons économiques, la société S1 a procédé à une restructuration impliquant son licenciement.
La motivation, telle que rédigée, permet de réaliser les finalités assignées à
l’exigence de précision.
Il y a partant lieu de réformer sur ce point le jugement entrepris.
B) Quant au caractère réel et sérieux des motifs du licenciement :
A conteste le caractère réel du licenciement au motif que l’employeur s’est limité à avancer avoir été contraint d’appliquer des mesures de compression des ressources humaines, mais n’a pas satisfait à son obligation d’établir la réalité et le sérieux de la cause du licenciement, et notamment en ne rapportant pas le caractère d’objectivité excluant les préjugés et les convenances personnelles et le caractère d’une certaine gravité qui rendait impossible sans dommage pour l’entreprise, la
continuation du travail et rendait partant nécessaire le licenciement. Il s’y ajouterait que l’employeur avait engagé des salariés à la suite de son congédiement et notamment des intérimaires exécutant le poste qu’il avait précédemment occupé.
La société S1, au contraire, fait valoir que les difficultés financières décrites dans la lettre des motifs du licenciement sont réelles et sérieuses et résultent des pièces versées au dossier. Les recrutements allégués par A, notamment d’intérimaires, ne ressortiraient d’aucune pièce versée au dossier.
Il résulte des pièces versées en cause, notamment des nombreux courriers de résiliation de chantiers entre 2013 et 2015, de l’import des dernières factures au client S4, du courriel de reprise du personnel par la société S2 du 18 février 2018, de l’évolution des frais généraux de 2011 à 2014, du bilan de l’exercice de 2015 que les difficultés économiques et les pertes financières invoquées par la société sont réelles. Compte tenu de la date du licenciement du 17 février 2016, il ne saurait être reproché à la société S1 de ne pas avoir versé le bilan de l’exercice
Il résulte aussi du tableau comparatif versé par l’appelante que les mesures de réduction des dépenses en frais de formation, de restauration et des coûts salariaux ont été entamées dès 2012.
Force est de constater que les allégations de A quant à d’éventuels nouveaux chantiers et/ou chantiers reconduits ne sont étayées par aucun élément. Elles manquent, par ailleurs, de pertinence, dans la mesure où il résulte du bilan de l’exercice 2015 que le résultat était négatif et que la situation financière de la société S1 était donc déficitaire au moment du licenciement.
En ce qui concerne l’argumentation de A quant à l’absence d’un lien causal entre la suppression de son poste de travail et les chantiers dont les contrats avaient été résiliés, il échet de rappeler qu’en matière de licenciement pour raison économique, le chef d’entreprise est en principe maître de l’organisation et de la réorganisation de son entreprise et partant seul juge des dispositions qu’il lui appartient de prendre en tant que chef responsable du bon fonctionnement de cette dernière, ce pouvoir
constituant en fait le corollaire de la responsabilité du risque assumé qu’il endosse.
Il en suit que ni le salarié ni le juge ne sont autorisés à se substituer à lui dans l’appréciation de l’opportunité des mesures à prendre. Or, l’intérêt de l’entreprise justifie que l’employeur prenne des mesures et, le cas échéant, des mesures de licenciement en cas de dégradation de ses activités, quelles que soient les conséquences au regard de l’emploi, sauf aux personnes licenciées de prouver qu’elles ont été victimes d’un abus de ce droit, ce qui laisse d’être prouvé en l’espèce. En effet, A ne fournit aucune précision, ni élément de preuve quant à un éventuel remplacement de son poste de travail par un nouveau salarié, respectivement par des travailleurs intérimaires.
Il suit des considérations qui précèdent que le licenciement avec préavis du 17 février 2016 était justifié et qu’il y a lieu de débouter A de ses demandes en indemnisation des préjudices matériel et moral subis du fait du licenciement.
Il y a partant lieu de réformer en ce sens le jugement entrepris. (C.S.J. 21/06/2018, 45386).