Licenciement abusif – femme enceinte – cdd – suspension du contrat malgré l’échéance du cdd ?
La salariée fait valoir que l’article L.337-3 du Code du travail ne s’applique pas au contrat à durée déterminée conclu entre parties et que, conformément à l’article L.121-5 (2) du Code du travail, la clause d’essai ne pourrait être prorogée au-delà d’une durée dépassant un mois. Le licenciement intervenu en date du 12 mars 2018 serait dès lors abusif.
Selon l’employeur, la résiliation est intervenue endéans la période d’essai convenue dans le contrat de travail, en respectant le préavis dû pour 3 mois d’essai, à savoir 15 jours, prévu à l’article L.121-5 (4) du Code du travail, et la période de préavis se situerait intégralement endéans la période d’essai.En effet, selon les termes du contrat de travail, la période d’essai de 3 mois aurait dû s’étaler du 17 juillet 2017 au 16 octobre 2017. En vertu de l’article L.337-3 du Code du travail, la période d’essai aurait été suspendue à partir du 24 juillet 2017, jour de la remise du certificat médical attestant l’état de grossesse de la salariée, et elle aurait repris son cours après la fin du congé de maternité.
Le préavis restant à courir de 2 mois et 3 semaines aurait dès lors repris le 10 mars 2018 pour se terminer le 30 mai 2018.
La lettre de licenciement ayant été remise à la salariée en date du 12 mars 2018, le préavis de 15 jours se serait terminé au plus tard le 27 mars 2018.
A titre subsidiaire et pour autant que la Cour devrait retenir que les parties étaient liées par un contrat à durée déterminée, l’employeur fait valoir que l’article L.337- 3 du Code du travail serait contraire à l’article 10 bis (1) de la Constitution alors qu’il créerait une double distinction entre les femmes enceintes selon la nature du contrat de travail en vertu duquel elles ont été engagées, à savoir contrat à durée déterminée ou contrat à durée indéterminée. Pour autant que de besoin, il demande à la Cour de poser la question de constitutionnalité suivante à la Cour Constitutionnelle :
« L’article L.337-3 du Code du travail qui prévoit que lorsqu’une femme salariée est liée par un contrat à durée indéterminée comportant une clause d’essai, cette dernière est suspendue à partir du jour de la remise à l’employeur du certificat médical attestant la grossesse jusqu’au début du congé de maternité et que la fraction de la période d’essai restant à courir reprend son cours à la fin de la période d’interdiction de licenciement, mais ne prévoit pas la même suspension de la période d’essai pour les salariées sous contrat à durée déterminée, traitant ainsi de manière différente des catégories de salariées, est-il conforme au principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 10bis (1) de la Constitution ?».
La salariée réplique que l’article 337-3 du Code du travail préciserait qu’il ne s’applique qu’au contrat à durée indéterminée.
Cette mesure ne serait pas en contradiction avec les dispositions de l’article 10 bis (1) de la Constitution et la question préjudicielle de constitutionnalité telle que suggérée par l’employeur manquerait de pertinence.
Il résulte de l’article 121-5 (4) du Code du travail que les règles protectrices pour la femme enceinte édictées aux articles 337-1 et suivants trouvent application durant la période d’essai.
Aux termes de l’article L. 337-1 du Code du travail, « (1) II est interdit à l’employeur de notifier la rupture de la relation de travail ou, le cas échéant, la convocation à l’entretien préalable d’une femme salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant une période de douze semaines suivant l’accouchement.
En cas de notification de la rupture avant la constatation médicale de la grossesse, la femme salariée peut, dans un délai de huit jours à compter de la notification du congé, justifier de son état par la production d’un certificat par lettre recommandée. Tout licenciement notifié en violation de l’interdiction de licenciement telle que visée dans les deux alinéas précédents, et, le cas échéant, la convocation à l’entretien préalable, sont nuls et sans effet.(…) »
Suivant l’article L. 337-2 du Code du travail, « Les dispositions relatives à l’interdiction de licenciement ne font pas obstacle à l’échéance du contrat de travail à durée déterminée. »
L’article L. 337-3 du Code du travail dispose que « Lorsqu’une femme salariée est liée par un contrat à durée indéterminée comportant une clause d’essai, cette dernière est suspendue à partir du jour de la remise à l’employeur du certificat médical attestant la grossesse jusqu’au début du congé de maternité. La fraction de la période d’essai restant à courir reprend son cours à la fin de la période d’interdiction de licenciement. »
Il résulte de ces dispositions que l’employeur ne peut pas résilier le contrat de la salariée en période d’essai lorsqu’il a été dûment informé de son état de grossesse, et ce tant en cas de contrat à durée indéterminée qu’en cas de contrat à durée déterminée. Néanmoins, le contrat à durée déterminée prend fin à l’échéance du terme initialement prévu, même si la salariée se trouve à ce moment en état de grossesse ou en congé de maternité. Dans le cas d’un contrat à durée indéterminée comportant une clause d’essai, la loi prévoit la suspension de la clause d’essai depuis la remise à l’employeur du certificat médical attestant la grossesse jusqu’à la fin du congé de maternité.Au vu des stipulations expresses de l’article L. 337-3 du Code du travail, celui-ci ne s’applique qu’aux contrats à durée indéterminée, de sorte qu’il n’est pas applicable aux contrats à durée déterminée, pour lesquels il n’existe pas de disposition analogue.
L’article L.121-5(2) in fine du Code du travail, auquel se réfère la salariée, ne prévoit pas non plus de suspension de la clause d’essai pendant la grossesse de la salariée.
Il en découle qu’il n’y a en l’espèce pas de suspension de la période d’essai en raison de la grossesse de la salariée.
La mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure critiquée.
En l’occurrence, les salariées ayant conclu un contrat à durée déterminée ne se trouvent pas dans une situation similaire à celle des salariées ayant conclu un contrat à durée indéterminée.
En outre, le contrat à durée déterminée prend en tout état de cause fin à l’échéance et il n’est pas possible de suspendre la clause d’essai pendant toute la durée de la grossesse de la salariée et jusqu’à la fin de la période d’interdiction de licenciement, au risque de voir proroger l’essai au-delà du terme du contrat.
La question de constitutionnalité posée par l’employeur étant dénuée de tout fondement, la Cour est dispensée d’en saisir la Cour Constitutionnelle.
Le licenciement avec préavis intervenu le 12 mars 2018, après la période d’essai du contrat à durée déterminée, est dès lors à déclarer abusif. (C.S.J., 26/11/2020, numéro CAL-2019-00795 du rôle).