L’exception au principe de non-discrimination en matière d’emploi

Un arrêt récent de la Cour de justice relance le débat de la non-discrimination au regard des normes européennes. Au Luxembourg, le principe est prévu à l’article L.251-1 du code du travail : toute discrimination directe ou indirect fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge, l’orientation sexuelle, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une race ou une ethnie est interdite.

Toujours selon ce texte, une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, l’a été ou ne le serait dans une situation comparable.

Par exception au principe d’égalité de traitement une différence de traitement fondée sur une des caractéristiques précitées ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée.

Cet article fait écho notamment aux directives européennes 200/43 et 200/78. En effet, toutes les directives portant sur la lutte contre les discriminations excluent du domaine des discriminations interdites les différences de traitement, fondées sur un critère prohibé, en ce qui concerne l’accès à l’emploi et la formation qui y donne accès, lorsque en raison de la nature des activités professionnelles particulières concernées ou du cadre dans lequel elles se déroulent, une telle caractéristique, constitue une exigence professionnelle véritable et déterminante, pour autant que son objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée (article 4 de la directive). Selon le considérant 23 de la directive 200/78, ce n’est toutefois que dans des « circonstances très limitées » qu’une différence de traitement peut être justifiée lorsqu’une caractéristique liée à l’un des critères prohibés constitue une exigence essentielle et déterminante. Cette dérogation au principe de non-discrimination est effectivement considérée comme d’interprétation stricte par la Cour de justice (CJUE, 13/09/2001, Prigge, C-447/09).

Cette exception n’a pas fait l’objet d’un contentieux très abondant et c’est tout l’intérêt de cet article. Soulignons tout de même qu’elle a été mise en œuvre dans le domaine des discriminations à raison de l’âge, dans certaines affaires concernant le recrutement des travailleurs affectés à des tâches exigeant des capacités physiques particulières (CJUE, 12 janvier 2010, Wolf, C-229/08 ; 13 novembre 2014, Vital Perez, C-416/13).

Dans sa jurisprudence, la Cour de justice a précisé que ce n’est pas le motif sur lequel est fondée la différence de traitement, mais une caractéristique liée à ce motif qui doit constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Selon la Cour de justice, le fait de disposer de capacités physiques particulièrement importantes, capacités dont la Cour admet, sur le fondement de données scientifiques avancées par les parties, qu’elles sont liées à l’âge, peut être considéré comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Les juges européens opèrent un contrôle étroit de cette dérogation.

L’arrêt du 15 novembre 2016 de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) (affaire C 258/15) en est une parfaite illustration (CJUE, ARRÊT DE LA COUR (Grande Chambre), 15 novembre 2016 affaire C 258/15 Gorka Salaberria Sorondo/ Academia Vasca de Policía y Emergencias).

Dans cette affaire, la Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a eu une nouvelle fois l’occasion de se prononcer sur l’interprétation de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Il s’agissait de savoir si le fait d’imposer une limite d’âge lors du recrutement d’agents de police était respectueux des règles européennes.

Alors qu’en 2014, la CJUE avait jugé disproportionnée une limite d’âge de 30 ans pour le recrutement de policiers municipaux (CJUE 13 nov. 2014, aff. C-416/13, Vital Pérez), il était question cette fois d’une limite d’âge fixée à 35 ans pour le recrutement d’agents de police au sein d’un corps opérationnel. En effet, la Communauté autonome du Pays Basque a pris la décision de lancer un avis de concours exigeant que les candidats aux postes d’agents de la police de la Communauté autonome du Pays basque n’aient pas atteint l’âge de 35 ans.

La question est posée : est-ce une pratique discriminatoire interdite que de limiter le recrutement d’agents de police aux personnes de moins de 35 ans ?

Les magistrats de la CJUE considèrent que « […] la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, […] doit être interprété[e] en ce sens qu’[elle] ne s’oppose pas à une réglementation, […] qui prévoit que les candidats aux postes d’agents d’un corps de police qui assurent l’ensemble des fonctions opérationnelles ou exécutives incombant à celui-ci ne doivent pas avoir atteint l’âge de 35 ans ».
Ils justifient leur position par le fait que les fonctions des policiers, « peuvent impliquer le recours à la force physique ainsi que l’accomplissement de missions dans des conditions d’intervention difficiles, voire extrêmes ». Le « recrutement à un âge plus avancé nuirait à la possibilité d’affecter un nombre suffisant d’agents aux tâches les plus exigeantes sur le plan physique ».

La Grande Chambre avance curieusement que le recrutement après 35 ans ne permettrait pas « que les agents ainsi recrutés soient affectés pendant une durée suffisamment longue auxdites tâches ». En outre, la CJUE a été sensible aux arguments de l’Académie basque de police qui a présenté des statistiques laissant « présager un vieillissement massif des effectifs ».

Elle considère donc que le recrutement de personnes de plus de 35 ans ne permettrait pas d’atteindre l’objectif de rétablir une pyramide des âges satisfaisante.