L’ancienneté de service comme critère d’appréciation de la faute grave
Sans dénier que le salarié a commis une négligence, en laissant son employeur sans nouvelles jusqu’au 18 juin 2020 quant à la durée prévisible de son arrêt de travail, la Cour estime cependant qu’eu égard au fait que le salarié a investi 28 années de sa vie professionnelle dans la société de l’employeur et qu’il a fait l’objet de plusieurs promotions, ce qui laisse supposer un parcours professionnel et une relation de confiance irréprochables, son absence ne constitue pas une faute suffisamment grave pour licencier le salarié, en le privant des indemnités légales de licenciement.
Arrêt N°15/24 – VIII – TRAV, 08.02.2024, Numéro CAL-2022-00465 du rôle
L’appel est partant fondé sur ce point spécifique.
Le jugement est partant à réformer en ce qu’il a déclaré le licenciement régulier
L’intimée invoque dans son courrier de licenciement du 29 juin 2020 le comportement que PERSONNE1.) aurait affiché lors d’une réunion
qui s’est tenue le 11 juin 2020 vers 11 heures entre ce dernier et PERSONNE4.), son supérieur hiérarchique, de même que les propos qu’il aurait tenus lors d’un l’appel téléphonique qu’il aurait mené le 12 juin 2020 avec PERSONNE3.), la responsable du services ressources humaines. Elle argumente que tant le comportement du salarié que ses propos seraient « aux antipodes de celui d’un salarié malade », tout en restant en défaut de tirer des conclusions juridiques de cette argumentation.
La Cour ne voit dès lors pas en quoi ces faits, même à les supposer établis, seraient de nature à justifier un licenciement avec effet immédiat. Dans ces conclusions de synthèse du 2 décembre 2022, l’intimée justifie d’ailleurs exclusivement le licenciement du salarié par ses prétendues absences non justifiées pour la période du 11 juin (après-midi) au 18 juin 2020.
L’offre de preuve de la société intimée est partant à rejeter pour défaut de pertinence. Il en est de même de l’attestation testimoniale du témoin PERSONNE4.).
Dans son courrier de licenciement du 29 juin 2020, la société SOCIETE1.) reproche à son salarié non seulement de ne pas s’être assuré de la réception par l’employeur du certificat médical dans le délai légal, respectivement dans le délai prévu par l’article 7.1.2. de la Convention collective de la société SOCIETE1.), mais également de ne pas avoir informé son employeur dès le premier jour de son empêchement de travail pour cause de maladie.
S’il est vrai qu’en l’espèce PERSONNE1.) disposait d’un certificat médical couvrant le période du 11 juin (après-midi) au 29 juin 2020, force est de constater que l’absence du salarié n’avait pas été justifiée auprès de l’employeur entre le 11 juin (après-midi) et le 18 juin 2020, date à laquelle l’employeur a convoqué PERSONNE1.) à un entretien préalable, en vue d’un licenciement. Le fait que ledit certificat médical a été réceptionné par l’employeur le 19 juin 2020 ne fait pas disparaître le motif de licenciement.
Dans la mesure où le salarié a méconnu son obligation légale prévue à l’article L.121-6 du Code du travail, l’employeur était en droit de lui reprocher dans son courrier de licenciement du 29 juin 2020 une absence injustifiée de son poste de travail du 11 au 18 juin 2020, de sorte que l’affirmation du salarié consistant à dire que l’employeur n’aurait plus pu lui reprocher cette absence tombe à faux.
Tel que relevé à juste titre par le tribunal du travail, l’inexécution par le salarié de l’obligation de soumettre à l’employeur le certificat médical endéans le délai prévu par la loi, respectivement le délai plus favorable prévu par la Convention collective de l’employeur, ne constitue
cependant pas forcément, ni automatiquement un fait ou une faute autorisant le renvoi immédiat du salarié, le juge étant tenu d’examiner l’existence d’un motif grave suivant les critères prévus par la loi.
D’après l’article L.124-10 du code du travail, chacune des parties peut résilier le contrat de travail sans préavis ou avant l’expiration du terme, pour un ou plusieurs motifs graves procédant du fait ou de la faute de l’autre partie, avec dommages et intérêts à charge de la partie dont la faute a occasionné la résiliation immédiate.
Constitue une faute grave, celle qui rend immédiatement et irrémédiablement impossible la continuation des relations de travail, dans la mesure où elle était de nature à ébranler la confiance entre parties.
Pour apprécier la gravité d’une faute commise par un salarié, les juridictions du travail ont un pouvoir discrétionnaire et doivent tenir compte dans l’appréciation des faits ou fautes procédant de la conduite professionnelle du salarié, d’un certain nombre d’éléments tels que son degré d’ancienneté, ses antécédents professionnels, sa situation sociale et en général de tous les éléments pouvant influer sur sa responsabilité, et finalement, des conséquences du licenciement.
En l’espèce, l’employeur ne conteste pas avoir été informé par PERSONNE1.) par courriel du 12 juin 2020 adressé au service du personnel qu’il était « indisponible, pour cause de maladie ». Il n’en demeure pas moins, que le salarié ne justifie par aucun élément probant du dossier qu’il aurait endéans le délai de quatre jours prévu par l’article 7.1.2. de la Convention collective de la société SOCIETE1.), fait parvenir à l’employeur le certificat médical attestant de son arrêt de travail pour cause de maladie et de la durée de son absence. Dès lors qu’il existe d’autres modes de transmission d’un document à un destinataire, tels qu’un envoi par mail ou MMS, l’appelant ne saurait se retrancher derrière une prétendue lenteur des services postaux liée à la pandémie du COVID-19 afin de justifier une réception tardive par l’employeur du certificat de maladie. L’employeur a encore attendu jusqu’au 18 juin 2020, donc huit jours pendant lesquels il était sans nouvelles de son salarié quant à la durée prévisible de son arrêt de travail, avant de le convoquer, le 18 juin 2020, à l’entretien préalable au licenciement.
Concernant la gravité de la faute commise et consistant en l’espèce dans le non-respect des obligations légales lui imposées par l’article L.121-6 du Code du travail, le salarié demande à voir prendre en compte son ancienneté auprès de la société SOCIETE1.) et son absence d’avertissements pendant sa carrière professionnelle de 28 ans.
S’il est vrai qu’il résulte des termes de la lettre de licenciement du 29 juin 2020 que l’employeur a, à partir du 13 juin 2020, pourvu au remplacement du salarié « en intérim », par un « collègue directeur de magasin », la Cour retient à l’instar du tribunal du travail qu’il n’en reste pas moins que la société SOCIETE1.) était, jusqu’au 18 juin 2020, dans l’incertitude quant au retour de PERSONNE1.).
Sans dénier que le salarié a commis une négligence, en laissant son employeur sans nouvelles jusqu’au 18 juin 2020 quant à la durée prévisible de son arrêt de travail, la Cour estime cependant qu’eu égard au fait que le salarié a investi 28 années de sa vie professionnelle dans la société de l’employeur et qu’il a fait l’objet de plusieurs promotions, ce qui laisse supposer un parcours professionnel et une relation de confiance irréprochables, son absence ne constitue pas une faute suffisamment grave pour licencier le salarié, en le privant des indemnités légales de licenciement.
L’appel est partant fondé sur ce point spécifique.
Le jugement est partant à réformer en ce qu’il a déclaré le licenciement régulier.