La nouvelle loi sur le harcèlement moral est une mauvaise loi.

  • La problématique du harcèlement moral

Comme le rappelait le texte de dépôt du projet de loi n° 7864, au Luxembourg deux salariés sur dix se disent être victimes d’harcèlement moral au travail.

Il faut encore souligner que dans le cadre de la relation contractuelle avec son employeur, le salarié est à considérer comme partie faible. Lorsqu’il subit des faits de harcèlement moral, celui-ci se retrouve dans une position encore plus défavorable.

A la suite de nombreuses procédures visant à défendre des salariés victimes de harcèlement moral, nous avons pu en tirer le constat suivant : l’employeur destinataire d’une dénonciation pour de tels faits se montre généralement peu enclin à diligenter une enquête digne de ce nom, que ce soit par meconnaissance de la loi ou parfois aussi ou par mauvaise volonté.

Il est un fait qu’il est extrêmement difficile de réunir des preuves concrètes du harcèlement moral pour le salarié qui est généralement opposé à un supérieur ou un dirigeant qui profite de l’oralité et de la crainte de témoigner des autres salariés pour pratiquer son harcèlement sans être inquiété.

L’employeur va alors répondre à son salarié-victime tantôt qu’une enquête a été effectuée sans pour autant entendre ce salarié ou tantôt dans un laps de temps tellement court qu’il est évident que rien n’a été fait. Il peut encore jouer avec les mots et afficher encore plus clairement son mépris pour la plainte du salarié.

  • Le projet de loi n° 7864 et ses importantes lacunes

Nous avons suivi le développement du projet de loi n° 7864 qui a débouché sur la loi du 29 mars 2023 portant modification du Code du travail en vue d’introduire un dispositif relatif à la protection contre le harcèlement moral à l’occasion des relations de travail.

Après plus d’une vingtaine d’année pour compléter le Code du travail avec un dispositif permettant de lutter contre le harcèlement moral et les diverses législations parues dans les Etats voisins, la Convention de 2009, les directives européennes, nous aurions pu obtenir un bien meilleur texte.

En effet, il est regrettable que le législateur ait fait machine arrière en ne prévoyant pas un renversement, ou un allègement de la charge de la preuve au bénéfice du salarié-victime de harcèlement moral tel que prévu initialement au projet de loi n° 4979 de 2002.

Le salarié qui est déjà par nature une partie faible au contrat de travail trouve sa situation encore plus dévalorisée face au comportement d’un collègue, généralement d’un supérieur, auteur de harcèlement.

La preuve des faits de harcèlement moral est la plupart du temps très difficile, voire impossible à rapporter (actes négatifs: pas saluer, ne pas convier aux réunions, ne pas donner la parole etc.), alors qu’elle passe nécessairement par des témoignages des autres salariés impossibles à obtenir alors qu’ils craignent eux aussi pour leur emploi. Cela n’a cependant pas suffi au législateur pour se convaincre de la nécessité de la modification des règles d’administration de la charge de la preuve en la matière.

Pourtant la première proposition de loi n° 4979 visant à instaurer des dispositions législatives pour lutter contre le harcèlement moral déposée par Monsieur le député Lucien LUX le 4 juillet 2002 prévoyait en son article 7 « Lorsqu’une personne qui justifie d’un intérêt établit devant la juridiction compétence des faits qui permettent de présumer l’existence de harcèlement moral à l’occasion des relations de travail, la charge de la preuve qu’il n’y a pas eu harcèlement moral incombe à la partie défenderesse ». C’était novateur pour l’époque et il faut saluer la perspicacité de ce député.

Le retour en arrière sur ce point est aberrant et demeure encore aujourd’hui inexpliqué alors que les partenaires sociaux n’ont pas été consultés préalablement et en première intention dans le cadre de l’élaboration du projet de loi n° 7864.

  • Le Centre pour l’égalité de traitement s’en alarmait dans son avis du 9 septembre 2021,
  • La Chambre des salariés demandait l’introduction du renversement de la charge de la preuve dans son avis du 19 octobre 2021,
  • La Chambre des salariés réitérait sa demande dans son dernier avis du 9 février 2023.

Il est encore plus piquant de constater que même le Conseil d’Etat s’étonne sur ce point de la façon suivante :

« Le dispositif introduit par le projet de loi sous avis est calqué en grande partie sur celui existant en matière de harcèlement sexuel, ce qui parait judicieux aux yeux du Conseil d’Etat.

Contrairement à ce qui existe cependant en matière de harcèlement sexuel, le projet de loi sous avis ne prévoit pas de renversement de la charge de la preuve. Il appartiendra donc au salarié de prouver l’ensemble des faits constitutifs du harcèlement moral, ce qui risque de s’avérer extrêmement compliqué. Le Conseil d’Etat note que les dispositifs mis en place dans les pays voisins prévoient bien un partage de la charge de la preuve. Ainsi, le code du travail français dispose que le salarié « présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ». La loi belge prévoit un mécanisme similaire. Les auteurs du projet de loi sous avis n’expliquent pas les raisons qui les ont amenés à ne pas prévoir ce genre de mécanisme ».

Le Luxembourg conserve donc son retard législatif sur ses voisins belges et français.

Cette absence d’ambition du législateur et de concertation de la part du gouvernement laisse un goût d’inachevé à la lecture de ce texte qui ne semble finalement servir qu’à rajouter de la complexité au travers d’une procédure supplémentaire devant l’ITM dont on peut douter de la pertinence.

Contrairement aux affirmations de l’ancien Ministre du travail Dan KERSCH contenues dans le Procès-verbal du 30 septembre 2021 de la Commission du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité Sociale, la procédure supplémentaire auprès de l’Inspection du Travail et des Mines ne vient absolument pas compenser le renoncement au renversement de la charge de la preuve. Au contraire, à notre sens, cette procédure auprès de l’Inspection du Travail et des Mines vient potentiellement alourdir la charge de la preuve et la procédure pour le salarié qui risque de devoir combattre en plus d’un rapport d’enquête de l’employeur, le rapport de l’Inspection du Travail et des Mines lors d’une future procédure devant le Tribunal du travail.

Cette question du renversement de la charge de la preuve ne sera par la suite plus abordée par la Commission du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale en février 2023 alors que le Ministre du travail, Dan KERSCH initialement porteur du projet de loi est entre temps devenu député et président de ladite commission.

Il faut aussi souligner que la loi reste problématique et muette sur plusieurs autres points.

Il se pose notamment la question de savoir si le salarié victime aura communication du rapport d’enquête émis par l’Inspection du Travail et des Mines alors que le texte semble ne prévoir qu’une communication entre l’Inspection du Travail et des Mines et l’employeur. Quid de l’égalité des armes devant le Tribunal du travail ?

  • Le rôle dévolu à l’Inspection du Travail et des Mines par la nouvelle loi :

Le paragraphe 5 de l’article L 246-3 du Code du travail prévoit le nouveau rôle de l’Inspection du Travail et des Mines :

« (5) Si le harcèlement moral au travail subsiste après la mise en œuvre des mesures ou si l’employeur s’abstient de prendre les mesures adéquates, le salarié concerné ou la délégation du personnel, après accord du salarié concerné, saisit l’Inspection du travail et des mines.

L’Inspection du travail et des mines entend le salarié qui s’estime victime d’un harcèlement moral à l’occasion des relations de travail ainsi que l’auteur présumé de l’acte de harcèlement moral et éventuellement d’autres salariés et l’employeur ou son représentant.

Suite à l’instruction du dossier et aux auditions réalisées, l’Inspection du travail et des mines dresse un rapport contenant, le cas échéant, des recommandations et des propositions de mesures pour faire cesser les actes de harcèlement moral.

Au plus tard quarante-cinq jours après réception du dossier, le directeur de l’Inspection du travail et des mines ou son représentant transmet le rapport complet à l’employeur concerné. En présence d’actes de harcèlement moral, le directeur de l’Inspection du travail et des mines enjoint à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser immédiatement ces actes de harcèlement dans un délai fixé en fonction des éléments du rapport.

En cas de non-respect de l’injonction dûment notifiée endéans le délai imparti, le directeur de l’Inspection du travail et des mines est en droit d’infliger à l’employeur une amende administrative en application de l’article L. 614-13 ».

Nous ne nous attarderons pas ici sur le caractère peu dissuasif du dispositif dont on peine à saisir par ailleurs en quoi la preuve pour le saalrié serait allégée.

On consate des nouvelles dispositions que l’Inspection du Travail et des Mines devra endosser le rôle d’enquêteur, de juge ad hoc et éventuellement prononcer des sanctions.

Le 23 février 2023, lors d’une réunion de la Commission du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, Madame la députée Carole HARTMANN demandait de façon pertinente « Est-ce que les autres fonctionnaires de l’Inspection du Travail et des Mines sont déjà formés pour résoudre des conflits d’harcèlement moral ? ».

Le nouveau Ministre du travail, Georges ENGEL répondait alors que « le cadre d’assistance auquel les victimes d’un harcèlement moral peuvent désormais faire appel obtient une autre qualité. L’Inspection du Travail et des Mines agira avec toute la circonspection nécessaire (définition de circonspection du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales établi à NANCY : « Retenue prudente que l’on observe dans ses paroles ou ses actions »).

Il faut ici rappeler qu’au titre des qualités exigées d’une partie intervenante à une procédure, l’impartialité et l’indépendance ont des places extrêmement importantes.

L’impartialité est définie dans le vocabulaire CORNU comme « une absence de parti pris, de préjugé, de préférence, d’idée préconçue, exigence consubstantielle à la fonction juridictionnelle dont le propre est de départager des adversaires en toute justice et équité ».

L’indépendance est définie selon la même source comme « la situation d’un organe public auquel son statut assure la possibilité de prendre ses décisions en toute liberté et à l’abri de toutes instructions et pressions ».

L’Inspection du Travail et des Mines respecte-t-elle ces principes alors que moins d’un mois après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, elle collabore à une conférence donnée par une Etude de la place qui défend exclusivement les employeurs?

Quel est le signal donné pour les salariés qui peinent déjà à entamer la démarche de la simple plainte par peur de représailles? C’est plus que découragés qu’il saisiront l’ITM.

La question de Madame la députée Carole HARTMANN sur la compétence des agents de l’Inspection du Travail et des Mines ne manquait pas de sens.

Victorien HERGOTT

David GIABBANI