Harcèlement moral (définition) – charge de la preuve (salarié) – absences répétées – licenciement abusif (non)
Il est constant en cause que A a été absent de son travail pour cause de maladie, de façon ininterrompue, suivant huit certificats médicaux, depuis le 13 mai 2013 jusqu’au 12 novembre 2013, date de son licenciement avec préavis.
A l’appui de son appel, A fait valoir que l’employeur ne peut invoquer son absentéisme pour motiver son licenciement, alors que la maladie ayant causé son absence était en réalité la conséquence d’un harcèlement moral de son employeur qui avait déjà débuté bien avant sa mutation en mai 2013 au service « expédition » par une procédure de « désavouement complet » qui avait été déclenchée au début de l’année 2013, lors de son affectation à un poste d’expert technique au département « homologation », décision qui ne pouvait s’expliquer que par la volonté « évidente » de son employeur de se débarrasser d’un salarié devenu incommode et inutile.
Ce serait dès lors à tort que la juridiction de première instance a considéré que la décision de sa mutation au service « expédition », aussi dégradante et humiliante qu’elle puisse avoir été, ne suffit cependant pas, en l’absence d’actes répétitifs, pour caractériser une situation de harcèlement moral.
Selon l’appelant, la directive no 2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail n’exige pas la présence d’actes répétitifs pour définir le harcèlement moral. Il s’y ajouterait qu’à côté de sa mutation au service « expédition », il a été victime de nombreuses autres humiliations et dégradations.
L’intimée, de son côté, se prévaut de la jurisprudence luxembourgeoise et de la définition du règlement grand-ducal du 15 décembre 2009 portant déclaration d’obligation générale de la Convention relative au harcèlement et à la violence au travail conclu entre les syndicats OGBL et LCGB d’une part, et l’UEL, en faisant valoir que pour pouvoir caractériser le harcèlement moral, il faut des agissements fautifs, des actes répétés et des conséquences néfastes pour le salarié. Le changement d’affectation intervenue au cours du mois de mai 2013 ne saurait dès lors constituer un harcèlement moral dans son chef.
C’est à bon droit que le tribunal du travail a cité, en l’absence de texte de loi réglementant de manière spécifique le harcèlement moral, la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 qui dispose en son article 2, point 3 que « le harcèlement est considéré comme une forme de discrimination au sens du paragraphe 1 lorsqu’un comportement indésirable lié à l’un des motifs visés à
l’article 1er se manifeste, qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Dans ce contexte, la notion de harcèlement peut être définie conformément aux législations et pratiques nationales des Etats membres ».
Il y a partant lieu de se référer à la Convention du 25 juin 2009 signée entre les syndicats OGB-L et LCGB ainsi que l’UEL, déclarée d’obligation générale par un règlement grand-ducal du 15 décembre 2009, qui définit le harcèlement moral comme suit :
« Le harcèlement moral se produit lorsqu’une personne relevant de l’entreprise commet envers un travailleur ou un dirigeant des agissements fautifs, répétés et délibérés qui ont pour objet ou pour effet :
– soit de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité ;
– soit d’altérer ses conditions de travail ou de compromettre son avenir
professionnel en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant,
humiliant ou offensant,
– soit d’altérer sa santé physique et psychique».
Il découle de cette définition que le harcèlement doit porter atteinte à la dignité, il doit atteindre un certain seuil d’importance et de gravité. Cette gravité s’induit souvent de la répétition des actes qui minent, un par, la dignité de la victime (cf.Jean-Luc PUTZ : Harcèlement moral et sexuel en droit luxembourgeois no 72 et 73, p. 38).
Contrairement à la législation française suivant laquelle la charge de la preuve du harcèlement ne pèse pas sur le salarié puisque ce dernier doit simplement « établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement », la législation luxembourgeoise n’instaure aucune présomption, de sorte que la charge de la preuve des éléments constitutifs du harcèlement moral incombe au salarié.
C’est partant à bon droit que le tribunal du travail a retenu dans son jugement du 15 juillet 2016 qu’il appartient au requérant de rapporter le preuve du « processus objectif » d’harcèlement moral dont il prétend avoir été victime de la part de ses supérieurs directs, à savoir des actes répétés, attentatoires à ses droits et à sa dignité de salarié et aboutissant à la dégradation délibérée des conditions de travail.
A expose que jusqu’au licenciement, il occupait un tout autre poste de travail, alors qu’il était affecté au service « gestion immobilière » où il était le seul responsable et organisait notamment la construction du nouveau bâtiment de la S1 ; que fin 2012 respectivement début 2013, il a été poussé à signer un avenant à son contrat de travail l’affectant à partir du 1er juillet 2013 au service « homologation » ; qu’il s’est vu imposer cette mutation de service sans justification concrète et crédible ; qu’il a signé l’avenant sous pression de la part de son employeur et face à la seule alternative lui annoncée, à savoir son licenciement ; que l’employeur avait précisé qu’il devait effectuer une formation prolongée de six mois avant de pouvoir activement exercer sa nouvelle fonction, qu’il n’a jamais pu bénéficier de cette formation ; qu’au début du mois de mai 2013, sans aucune explication et sans en avoir été averti au préalable, il a été écarté de force de son poste de travail pour être installé « manu militari » au service « expédition » en qualité d’archiviste, fonction hiérarchiquement largement inférieure et constituant ainsi de toute évidence une dégradation injustifiée ; que d’autres humiliations et harcèlements ont suivi ; qu’en date du 10 mai 2013, il s’est présenté au service « expédition » ; qu’il a été chargé de s’installer au bout d’une table face au couloir, sans téléphone ou ordinateur, pour faire des photocopies, respectivement des scans ; qu’au courant de la journée, il s’est rendu auprès de son médecin qui lui a prescrit un arrêt de travail pour le restant de la journée ; qu’en date du 13 mai 2013, il s’est de nouveau présenté au bureau ; que dans un climat hostile contre sa personne, humilié et écroulé, il a dû quitter son poste de travail vers 10.00 heures pour se rendre auprès de son médecin qui lui prescrit de suite un arrêt de travail de trois semaines pour cause de maladie ;
que déjà le lendemain de son certificat de maladie, le 14 mai 2013, le directeur de la société S1 lui-même, B, s’est présenté à son domicile privé avec un autre salarié de l’entreprise, pour l’inviter à remettre les clés d’accès à son lieu de travail ; qu’en même temps et sans autre explication, son accès à distance aux fichiers de son ordinateur professionnel fut supprimé respectivement bloqué, que tout accès à son bureau lui était interdit, bureau qui venait d’être occupé par son successeur E.
A en conclut que sa maladie prolongée avait ainsi été provoquée et aggravée par le comportement déloyal de son employeur et ses supérieurs sans motifs réels.
L’intimée conteste les accusations de A de harcèlement moral. Elle soutient que A dépeint un climat particulièrement hostile, fait de brimades, d’humiliation et de dénigrement contre le salarié qui s’avère contraire à la réalité. Elle est encore d’avis que le changement d’affectation du salarié à un poste d’expert technique au service « homologation » lui aurait permis de continuer sa carrière auprès de l’employeur, à un poste aussi respectable et sans changement de rémunération, mais dans des conditions de pression et de stress moins fortes. Le salarié aurait en effet signé son avenant en janvier, sans aucune protestation ou discussion aucune. Ce ne serait
qu’en mai 2013, qu’il se serait senti finalement humilié par ce changement et tenterait aujourd’hui vainement de démontrer un harcèlement moral de son employeur. Il serait encore de jurisprudence que des difficultés relationnelles ou une atmosphère de travail pénible sont insuffisantes pour caractériser un harcèlement moral. Aucun élément du dossier ne permettrait de conclure que le but
final et recherché de cette mise en scène aurait été l’effondrement de A et l’abandon de son poste de travail, alors qu’il paraît évident qu’entre le vendredi et le lundi, toutes les informations n’avaient pas forcément été transmises, alors que la formation de A aurait dû normalement commencer au mois de juillet 2013 et non pas le 13 mai 2013.
Il résulte de l’avenant au contrat de travail signé entre parties le 3 janvier 2013 qu’à partir du 1er juillet 2013, A était affecté à la fonction d’expert technique au sein du département « homologation » et que jusqu’à cette date, il continuait à s’occuper du chantier en cours et à « veiller à l’exécution rapide et dans les délais des activités en relation avec le chantier » et à soutenir le nouveau gestionnaire d’immeuble dans l’exécution de ses fonctions.
Au vu des déclarations des témoins entendus en première instance dont la crédibilité n’est mise en doute par aucun élément de la cause, les prétendues pressions et menaces invoquées par A au moment de la signature de l’avenant du 3 janvier 2013 laissent d’être établies.
En effet, si E qui avait été engagé pour aider A dans le but de reprendre ses fonctions, a relaté que lors des réunions de service, il y avait eu une pression pour finir les travaux et des discussions pour faire avancer la construction, des reproches directs envers la personne de A ou de ses aptitudes professionnelles laissent cependant d’être établis.
Il résulte, au contraire, des propres conclusions de A qu’il avait vécu une longue période de surcharge et de surmenage documentée, d’après ses dires, par des heures supplémentaires « incalculables » et l’impossibilité de pouvoir bénéficier du temps de repos annuel, s’élevant à la fin de son contrat à 612 heures de congé non pris, soit 76,6 jours de congé non pris.
La Cour en conclut que A avait accepté ce changement sans contrainte.
La Cour relève encore que le changement de poste en tant qu’expert technique dans le service « homologation » prévu à partir de juillet 2013, après une période de formation de quelques mois, et sans changement de rémunération n’avait aucun caractère humiliant.
En ce qui concerne finalement la décision prise le 8 mai 2013 par le conseil d’administration de charger dorénavant déjà E de la coordination du chantier et de réaffecter A au service « expédition », il résulte des déclarations de E que cette décision avait été prise, alors que la direction n’était pas contente du déroulement des travaux et « qu’il fallait rentrer un nouveau vent dans ce dossier » en vue de l’achèvement de la construction fixé au mois d’août 2013.
Le témoin a encore relaté que A avait commencé à travailler en mai 2013 après un long week-end comprenant un jour férié à la S1 dans le service « expédition » qui avait besoin d’un employé supplémentaire et qu’à ce moment il n’y avait pas encore eu de décision sur sa réaffectation définitive. Il ressort également des déclarations de T1, responsable du service « expédition », que lors de l’arrivée de A, il n’avait pas encore reçu d’information de la direction quant aux modalités de l’affectation de ce dernier.
E a, par ailleurs, expliqué qu’il existait deux jeux de clés passe-partout donnant accès à tous les sites de la S1, un se trouvant en possession de F, directeur de la S1 et l’autre en possession de A en charge de la construction de l’immeuble. Comme
ces clés étaient nécessaires au témoin qui ne disposait pas d’un jeu de clés de passepartout pour tous les sites, le directeur B avait contacté A pour lui demander s’ils pouvaient venir chercher son jeu de clés et que, suite à l’accord de ce dernier, B et le témoin sont allés récupérer les clés au domicile de A.
Les déclarations de E ne sont pas démenties par celles de T2 qui a indiqué qu’il existe différentes clés et qu’il dispose d’une clé qui « passe dans le bâtiment », sauf dans certains endroits, tels le bureau du directeur ou celui de A. Elles ne sont pas non plus démenties par l’attestation de T3 suivant lequel les salariés du service entretien disposaient d’une clé passe-partout qui assurait l’ouverture des portes extérieures et de la plupart des portes intérieures. E a encore indiqué que B lui avait donné le mot de passe permettant l’accès à son ordinateur.
Les déclarations de E sont encore corroborées par celles de C, responsable du service « homologation » et attaché de direction, d’après lequel le conseil d’administration avait pris la décision de remplacer A sur son poste de travail avec effet immédiat, compte tenu des retards dans la construction du nouveau bâtiment de la S1.
C a précisé que A avait commencé sa formation au service « expédition » et que c’est B qui avait décidé de la date et de l’endroit du commencement de sa formation. Le témoin a encore indiqué que lorsque A a commencé sa formation dans le service « expédition », un poste de travail avec téléphone et scanner était à sa disposition.
Eu égard à ces éléments, la Cour vient à la conclusion que si la décision de réaffectation en mai 2013 de A au service « expédition », pour y occuper momentanément mais non définitivement un poste, constituait certes une mesure malencontreuse et intempestive, elle n’était cependant pas faite pour durer, de sorte à exclure un « processus de harcèlement moral » à l’égard de A.
Même si dans son certificat médical du 28 octobre 2015, le docteur G, médecinpsychiatre, indique qu’au niveau psychologique, A continue à être déstabilisé et traumatisé par les conditions pour lesquelles il a perdu son travail et qu’il se voit comme victime de « mobbing », il n’est pas pour autant établi que le ressenti subjectif du salarié correspond à un comportement fautif de l’employeur qui n’a
cessé de se répéter.
En effet, l’employeur dispose d’un pouvoir de direction et de contrôle qu’il peut légitimement exercer pour assurer le bon fonctionnement de son entreprise.
S’il doit exercer ces prérogatives dans le respect de la personne du salarié, la limite de l’abus, et donc du harcèlement, est seulement atteinte lorsque l’employeur exerce ses pouvoirs de manière injustifiée, donc soit sans aucun fondement, soit de manière disproportionnée.
Or, il résulte des considérations qui précèdent que tel n’était pas le cas en l’espèce.
Il en appert, au contraire, que les différentes mesures prises par la société S1 tant au moment de la conclusion de l’avenant au contrat de travail en janvier 2013 qu’au moment de la réaffectation de A en mai 2013 et dans les jours qui l’ont suivie avaient pour seul et unique objectif d’assurer la fin rapide du chantier de l’immeuble de la société S1 et la transmission des clés passe-partout ainsi que du
code d’accès intranet au nouveau gestionnaire d’immeuble, impératifs sur lesquels A n’a pu se méprendre.
Il y a partant lieu de confirmer, bien que pour des motifs partiellement différents, le jugement entrepris du 9 janvier 2017 en ce qu’il est venu à la conclusion que A n’a pas établi un harcèlement moral dans le chef de son ancien employeur.
A conteste encore le caractère sérieux des motifs du licenciement, en faisant valoir que son travail n’a jamais fait l’objet de critiques de la part de l’employeur, que même une absence prolongée du salarié ne peut constituer une cause justifiée et d’une gravité suffisante pour mettre fin à un contrat de travail d’un salarié irréprochable pouvant justifier d’une ancienneté supérieure à seize années auprès du
même employeur, que son absence n’a pas constitué un manque particulier pour l’employeur alors qu’il a été engagé sans connaissances spécifiques en matière d’expertise technique dans le département « homologation ».
La société S1, au contraire, soutient que l’absence quasi-ininterrompue d’un salarié pendant plus de six mois cause une désorganisation évidente du service puisque les risques normaux inhérents à l’exploitation d’une entreprise sont largement dépassés, ce à plus forte raison que l’employeur avait reçu pas moins de neuf certificats médicaux, chacun d’une durée d’environ un mois, ne lui permettant plus de compter sur une présence et collaboration effectives du salarié dans l’entreprise.
Elle explique que le changement d’affectation avait été préparé suffisamment à l’avance en janvier 2013, de manière à permettre à A, d’une part, d’assurer sa transition dans le département de la gestion d’immeubles et, d’autre part, d’intégrer le service « homologation » pour y remplacer D, expert technique, dont le départ en retraite avait été prévu pour le mois de septembre 2013. Il s’y ajouterait qu’elle
aurait dû faire face à l’absence de deux autres salariés, ce qui aurait engendré la prestation de nombreuses heures supplémentaires et le refus de congés pour deux salariés du service.
La société S1 se réfère finalement aux impératifs du système d’accréditation qu’elle doit respecter en tant qu’organisme certificateur et à la nécessité de disposer à cet effet d’une organisation spécifique, gage de confiance dans les certifications qu’elle réalise.
A l’instar des premiers juges, la Cour constate que les absences de A pour cause de maladie pendant 26 semaines étaient d’une importance telle qu’elles font présumer une perturbation sérieuse du département « homologation » que A était censé intégrer dès la fin de sa formation en tant qu’expert technique.
Compte tenu de l’état de santé déficient de A l’empêchant de commencer la formation d’expert technique, la société S1 ne pouvait pas non plus compter pouvoir l’affecter au remplacement d’un collègue allant en retraite en septembre 2013, ce d’autant plus que l’employeur ne disposait d’aucun élément lui permettant d’évaluer la durée prévisible de l’absence de A et les perspectives d’une
collaboration ultérieure.
Il résulte des développements qui précèdent qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré justifié le licenciement avec préavis de A, nonobstant son ancienneté de service de seize ans, et qu’il a partant rejeté les demandes en indemnisation des dommages matériel et moral du salarié. (C.S.J., 26/04/2018, 44560).