Femme enceinte – licenciement – demande en réintégration (non)
Par ordonnance du 10 octobre 2019, le président du tribunal du travail de et à Esch-sur- Alzette a, sur base de l’article L.337-1 (1) du code du travail, prohibant le licenciement de la femme enceinte, déclaré le licenciement de A prononcé par son employeur, la société anonyme S1 en date du 18 juillet 2019 régulier, et dit qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner la réintégration de la salariée.
Par requête déposée le 15 novembre 2019, A a relevé appel de l’ordonnance du 10 octobre 2019 et onclut à voir déclarer nul son licenciement et partant à voir ordonner sa réintégration immédiate, sous peine d’une astreinte de 250 euros par jour de retard dans l’exécution.
L’appel est régulier, partant recevable.
Les faits de la cause sont les suivants :
Le 18 juillet 2019, la société anonyme S1 a, par pli recommandé, posté la lettre de licenciement de A portant la date du 18 juillet 2019 à l’ancienne adresse de la salariée.
A qui habitait en France jusqu’à fin décembre 2018 à l’adresse suivante : X, (…), a ensuite déménagé à l’adresse F-… X, (…), sans cependant en informé officiellement et régulièrement son employeur et sans opérer de changement d’adresse officiel, a été avisée selon le relevé « track and trace » en date du 22 juillet 2019.
Elle précise cependant n’avoir réceptionné le courrier de licenciement qu’en date du 29 juillet 2019 alors que son ancien bailleur lui a demandé, par courrier du 29 juillet 2019, de venir, à son ancienne adresse, retirer tous ses courriers.
Elle affirme avoir informé son employeur de son état de grossesse en postant un certificat médical constatant son état de grossesse le 29 juillet 2019.
La requête en annulation a été déposée le 31 juillet 2019.
L’article L.337-1 du code du travail a la teneur suivante :
« II est interdit à l’employeur de notifier la rupture de la relation de travail ou, le cas échéant, la convocation à l’entretien préalable d’une femme salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant une période de douze semaines suivant l’accouchement.
En cas de notification de la rupture avant la constatation médicale de la grossesse, la femme salariée peut, dans un délai de huit jours à compter de la notification du congé, justifier de son état par la production d’un certificat par lettre recommandée.
Tout licenciement notifié en violation de l’interdiction de licenciement telle que visée dans les deux alinéas précédents, et, le cas échéant, la convocation à l’entretien préalable, sont nuls et sans effet.
Dans les quinze jours qui suivent la résiliation du contrat, la femme salariée peut demander, par simple requête, au président de la juridiction du travail, qui statue d’urgence et comme en matière sommaire, les parties entendues ou dûment convoquées, de constater la nullité du licenciement et d’ordonner son maintien, le cas échéant, sa réintégration conformément aux dispositions de l’article L.124-12, paragraphe (4). »
Pour retenir le moyen de forclusion tiré par la société anonyme S1 de l’inobservation du délai de huit jours et pour partant rejeter la demande en nullité du licenciement et en réintégration, le président du tribunal a motivé sa décision, entre autres, en les termes suivants :
« S’il est certes de jurisprudence constante que les modalités procédurales du recours destinées à assurer la sauvegarde des droits que la femme enceinte tire notamment du droit communautaire ne doivent, entre autres, pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (cf. CJCE, Affaire B c/ S2 S.A., C-63/08 considérant 43), toujours est-il que c’est en raison des seules carences de A à faire connaître utilement à son employeur et selon la procédure prévue par le règlement interne le changement de son domicile que la partie requérante s’est retrouvée dans une situation dans laquelle l’exercice des droits à la protection lui conférés devenait difficile. »
L’appelante fait grief au président du tribunal du travail de ne pas avoir fait prévaloir le principe de l’effectivité de l’information de la salariée enceinte et des recours lui réservés, en ne prenant pas en considération la date du 29 juillet 2019 comme point de départ des délais prévus par l’article L.337-1 du code du travail.
Elle soutient que cette décision est contraire aux principes de protection effective prévus tant par le droit communautaire qu’en droit national ; qu’il serait inconcevable qu’on puisse estimer que les délais d’action spéciaux comme ceux prévus à l’article L.337-1 du code du travail puissent prendre cours avant que le destinataire de l’acte lui faisant grief en ait eu connaissance.
Elle en conclut que le point de départ du délai de huit jours pour communiquer le certificat médical de grossesse, n’a pris cours que le 29 juillet 2019 et non le 22 juillet 2019, de sorte que sa demande à voir annuler son licenciement devrait, par réformation, être déclarée recevable et justifiée.
L’intimée conclut à la confirmation de l’ordonnance entreprise par adoption de ses motifs.
S’il est de jurisprudence constante, en ce qui concerne le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés à la femme enceinte par le droit communautaire, que les modalités procédurales de recours destinées à assurer la sauvegarde des droits que la femme enceinte tire du droit communautaire ne doivent, entre autres, pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (cf. CJCE, Affaire B c/ S2 S.A., C-63/08 considérant 43), il en va autrement lorsque ce sont les circonstances de fait imputables à la salariée, notamment ses négligences répétées, respectivement sa désinvolture qui ont rendu difficile l’exercice des droits lui conférés par les dispositions protectrices par le législateur luxembourgeois conformément à l’ordre juridique communautaire.
Il est en effet constant en cause que A, qui a déménagé fin 2018, début 2019, n’a jamais informé son employeur de sa nouvelle adresse, de sorte que la lettre de licenciement lui a été notifiée régulièrement à son ancienne adresse.
Il est encore avéré que A, qui ne semble pas non plus avoir opéré un changement officiel d’adresse auprès de l’Administration des postes aux fins de faire suivre son courrier à sa nouvelle adresse, ne retirait pas quotidiennement ses courriers envoyés à son ancienne adresse, de sorte que son ancien bailleur lui a, par courrier du 29 juillet 2019, demandé de venir vider sa boite à lettres qui contenait, entre autres courriers, la lettre de licenciement dont elle n’a partant pris connaissance qu’en date du 29 juillet 2019.
Il suit des considérations qui précèdent que ce ne sont pas les modalités procédurales du recours prévues par l’article L.337-1 du code du travail qui ont rendu impossible pratiquement ou excessivement difficile l’exercice par A de son recours en annulation, mais sa propre négligence.
Par adoption des motifs du tribunal du travail repris ci-avant, il échet partant de confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a retenu, sur base des pièces et éléments produits en cause, que le délai de huit jours pour informer l’employeur de son état de grosse débutait le jour où elle a été avisée du pli recommandé contenant la lettre de licenciement, soit d’après le relevé « track and trace » le 22 juillet 2019 ; que le délai de huit jours pour remettre à l’employeur son certificat de grossesse, par computation des délais, débutait partant à partir du dies a quo à minuit, soit le 23 juillet 2019 à minuit pour se terminer au dies ad quem, soit le 30 juillet, à minuit ;
que le certificat de grossesse portant la date du 29 juillet 2019 a été posté le même jour, mais n’est parvenu à l’employeur que le 31 juillet 2019 selon une capture d’écran intitulée « suivre un envoi », dès lors en dehors du délai légal de huit jours.
Subsidiairement, l’appelante critique encore l’ordonnance présidentielle en ce qu’elle a estimé que la salariée se devait de mettre son employeur en possession du certificat médical de grossesse avant l’expiration du délai de huit jours.
D’après l’appelante, l’article L.337-1 du code du travail, en précisant que la femme enceinte peut justifier de son état, par la production d’un certificat par lettre recommandée dans les huit jours de la notification du congé, ne dit pas qu’elle est tenue, pour être valablement protégée, de mettre un tel certificat en possession de son employeur avant l’expiration dudit délai, mais qu’il suffit u’elle l’envoie endéans ce délai.
Or, si le législateur avait voulu permettre à la femme enceinte, pour être protégée, d’envoyer son certificat de grossesse dans les huit jours de la notification du licenciement, il l’aurait indiqué et n’aurait pas utilisé le terme « production d’un certificat » qui ne signifie rien d’autre que la remise effective à l’employeur d’un certificat dans les huit jours.
Ce moyen laisse partant d’être fondé.
L’ordonnance est dès lors à confirmer par adoption de l’ensemble de ses motifs, en ce qu’elle a déclaré les demandes de A non fondées. (Psdt C.S.J., ord. Numéro CAL-2019-01095 du rôle 19/12/2019)