Démission pour motif grave de l’employeur – délais à respecter
« Vu l’article L.124-10, paragraphe 6, du Code du travail ;
Attendu qu’en vertu de ce texte, la partie qui résilie le contrat de travail pour motif grave peut invoquer, outre les faits se situant dans le délai légal d’un mois, encore des faits antérieurs à l’appui de ceux-ci, et qu’il appartient à la juridiction du travail d’apprécier si tous ces faits, pris dans leur ensemble, sont d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation avec effet immédiat du contrat de travail ;
Attendu qu’en décidant, en l’espèce, que les faits nouveaux invoqués par l’employeur n’étaient pas de nature à rendre immédiatement et définitivement impossible le maintien de la relation de travail et que « dès lors les faits antérieurs au mois (…) ne peuvent pas être invoqués à l’appui des faits nouveaux, qui en eux-mêmes ne constituent pas un motif grave et qui ne prennent pas cette nature par l’effet des faits anciens », les juges d’appel ont partant violé la disposition visée au moyen ;
Qu’il en suit que l’arrêt encourt la cassation. »
Pour statuer comme elle l’a fait, la Cour a retenu :
« Si les faits du 19 mai 2010 sont ainsi certes établis, la Cour juge que leur gravité se trouve très fortement atténuée en raison des circonstances spécifiques de la cause. Ainsi que la Cour l’a remarqué ci-dessus, les faits se sont produits dans une seule et même matinée et après la décision prise la veille, 18 mai 2010, par l’employeur de suspendre M. A temporairement tant en sa qualité d’employé qu’en sa qualité d’Equity Partner. Ils se sont produits à l’occasion d’une situation conflictuelle à la genèse de laquelle l’employeur n’était pas étranger. M. A se trouvait dans un état d’extrême tension et la Cour ne voit dans son comportement
rien d’autre qu’une défense de sa part par rapport à un traitement qu’il considérait être injuste, voire illégal, mais il n’était animé d’aucune intention de nuire à l’employeur.
Il en est de même de l’incident du 21 juin 2010.
Dans la mesure où la procédure du licenciement a été déclenchée par la lettre du 18 juin 2010 comportant convocation pour l’entretien préalable du 22 juin 2010, ce n’est d’ailleurs pas ce fait qui est à l’origine de la décision de procéder à un licenciement avec effet immédiat, l’employeur l’ayant simplement rajouté alors qu’il s’est passé entre la première convocation du 18 juin 2010 et la deuxième
convocation du 24 juin 2010.
Le fait de traiter un ancien collègue de travail de « lâche » n’est pas d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement avec effet immédiat d’un salarié ayant une ancienneté de service de 17 ans et qui n’a jamais eu d’avertissement.
Ici encore, la responsabilité de M. A est fortement atténuée du fait que M. G est l’un des collaborateurs qui a voté, le 18 juin 2010, soit 3 jours auparavant, pour l’exclusion de M. A comme Equity Partner.
Au vu des développements qui précèdent, la Cour retient dès lors que ni les faits du 19 mai 2010 ni le fait du 21 juin 2010, soit les seuls faits qui se sont produits dans le mois précédant la convocation du 18 juin 2010 pour l’entretien préalable, ne présentent une gravité telle qu’ils justifieraient le licenciement pour faute grave avec effet immédiat.
Avant d’invoquer dans la lettre de licenciement les « derniers incidents ayant conduit au licenciement pour motif grave », la société S1 a encore invoqué d’autres motifs qu’elle a énoncés sous les titres :
– Opposition à la stratégie de la firme pour l’activité HRS
– Hostilité et attitude de défiance vis-à-vis du management de la firme
– Attitude et propos agressifs, déplacés et harcelants vis-à-vis de nombreux Partners et collaborateurs.
Tous ces faits se sont passés entre le 4 janvier 2010 et le 10 mai 2014 et ils sont partant antérieurs de plus d’un mois à la convocation du 18 juin 2010 pour l’entretien préalable.
En vertu de l’article L.124-10 (2) du code du travail :
« Est considéré comme constituant un motif grave pour l’application des dispositions du paragraphe qui précède, tout fait ou faute qui rend immédiatement et définitivement impossible le maintien des relations de travail. »
Aux termes de l’article L. 124-10 (6) du code du travail :
« Le ou les faits ou fautes susceptibles de justifier une résiliation pour motif grave ne peuvent être invoqués au-delà d’un délai d’un mois à compter du jour où la partie qui l’invoque en a eu connaissance, à moins que ce fait n’ait donné lieu dans le mois à l’exercice de poursuites pénales.
Le délai prévu à l’alinéa qui précède n’est pas applicable lorsqu’une partie invoque un fait ou une faute antérieure à l’appui d’un nouveau fait ou d’une nouvelle faute. »
La Cour a retenu que les faits nouveaux invoqués par la société S1 comme justifiant un licenciement immédiat ne sont pas de nature à rendre immédiatement et définitivement impossible le maintien de la relation de travail.
Dès lors, les faits invoqués antérieurs au mois, même s’ils étaient établis et s’ils avaient pu, au moment où ils se sont produits, justifier un licenciement immédiat auquel l’employeur n’a pas procédé, ne peuvent pas être invoqués à l’appui des faits nouveaux, qui en eux-mêmes ne constituent pas un motif grave et qui ne prennent pas cette nature par l’effet des faits anciens.
Par réformation du jugement entrepris, il y a dès lors lieu de déclarer abusif le licenciement avec effet immédiat de M. A. »
Par un deuxième arrêt rendu le 3 décembre 2015, la Cour d’appel, 8e chambre, a :
statuant en continuation de l’arrêt de la Cour d’appel du 11 juillet 2014 ;
réformant :
– condamné la société coopérative S1 S.C. à payer à A la somme de 1.282.059 € (1.257.059 € + 25.000) avec les intérêts au taux légal sur le montant de 1.257.059 € à partir du 30 juin 2011 et sur le montant de 25.000 € à partir du jour de la demande, 29 octobre 2010, chaque fois jusqu’à solde ;
– condamné la société coopérative S1 S.C. à payer à A une indemnité de
procédure de 15.000 € pour la première instance et une indemnité de procédure de 15.000 € pour l’instance d’appel ;
– dit non fondée la demande de la société coopérative S1 S.C. basée sur l’article 240 du Nouveau code de procédure civile ;
– condamné la société coopérative S1 S.C. aux frais et dépens des deux instances.
Un pourvoi en cassation a été formé par la société S1 le 8 mars 2016.
La Cour de cassation a, par un arrêt du 8 décembre 2016, cassé et annulé l’arrêt rendu le 11 juillet 2014 par la Cour d’appel,
déclaré nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis,
a remis les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d’appel, autrement composée ;
a rejeté la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
a condamné le défendeur en cassation aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société d’avocats , sur
ses affirmations de droit.
Pour statuer comme elle l’a fait, la Cour de cassation a retenu :
« Vu l’article L.124-10, paragraphe 6, du Code du travail ;
Attendu qu’en vertu de ce texte, la partie qui résilie le contrat de travail pour motif grave peut invoquer, outre les faits se situant dans le délai légal d’un mois, encore des faits antérieurs à l’appui de ceux-ci, et qu’il appartient à la juridiction du travail d’apprécier si tous ces faits, pris dans leur ensemble, sont d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation avec effet immédiat du contrat de travail ;
Attendu qu’en décidant, en l’espèce, que les faits nouveaux invoqués par l’employeur n’étaient pas de nature à rendre immédiatement et définitivement impossible le maintien de la relation de travail et que « dès lors les faits antérieurs au mois (…) ne peuvent pas être invoqués à l’appui des faits nouveaux, qui en eux-mêmes ne constituent pas un motif grave et qui ne prennent pas cette nature par l’effet des faits anciens », les juges d’appel ont partant violé la disposition visée au moyen ;
Qu’il en suit que l’arrêt encourt la cassation. »
Suite à l’arrêt de la Cour de cassation, la Cour est actuellement ressaisie du litige.
A demande à la Cour de constater que son licenciement du 30 juin 2010 est abusif et partant de réformer le jugement de première instance du 8 décembre 2011 sur ce point, sinon, en ordre subsidiaire, de faire droit aux offres de preuve formulées dans le dispositif de l’acte d’appel, de condamner en tout état de cause S1 à lui payer à titre d’indemnité compensatoire de préavis un montant de 453.700 euros, à titre d’indemnité de départ légale un montant de 226.875 euros, à lui payer du chef de son licenciement abusif et à titre de préjudice matériel un montant de 1.801.779,50 euros avec les intérêts légaux, à lui payer du chef de son licenciement abusif et à titre de préjudice moral un montant de 453.750 euros.
Il demande de déclarer non fondé l’appel incident interjeté par S1, de condamner S1 à tous les frais et dépens des deux instances ainsi qu’à une indemnité de procédure de 25.000 euros pour la première instance ainsi qu’à une indemnité de procédure de 25.000 euros pour l’instance d’appel sur base de l’article 240 du NCPC.
A refait une analyse de la condition de l’article L.124-10(6) du code du travail et conclut à l’irrégularité du licenciement. Ensuite, il analyse l’article L.124-10(2) alinéa 2 du code du travail.
Chaque partie analyse ensuite tant la réalité que la gravité de tous les faits reprochés à A, tant ceux commis dans le mois précédant le licenciement que les faits plus anciens.
Étendue de la saisine de la Cour d’appel :
Les pouvoirs de la juridiction de renvoi ne sont pas seulement limités à l’instance dans laquelle est intervenue la cassation ; ils sont limités dans cette instance aux dispositions qui ont fait l’objet de la cassation (J. Boré édition 1997 – La cassation en matière civile numéro 3368 page 847).
Si en principe, à la suite de l’annulation d’un arrêt, les parties se retrouvent remises au même état où elles se sont trouvées avant la décision cassée, toujours est-il que l’annulation d’une décision, si généraux et absolus que soient les termes dans lesquels elle a été prononcée, est limitée au moyen qui lui a servi de base et laisse subsister comme passées en force de chose jugée, toutes les autres parties de la décision qui n’ont pas été attaquées par le pourvoi, sauf indivisibilité ou dépendance nécessaire avec les dispositions cassées (cf. ibidem numéro 3092 page 775).
Il résulte de l’arrêt de cassation précité, que l’arrêt de la Cour d’appel du 11 juillet 2014 a été cassé pour avoir violé les dispositions de l’article L.124-10 par. 6 du code du travail.
L’article L.124-10, paragraphe 6, du code du travail dispose:
« Le ou les faits ou fautes susceptibles de justifier une résiliation pour motif grave ne peuvent être invoqués au-delà d’un délai d’un mois à compter du jour où la partie qui l’invoque en a eu connaissance, à moins que ce fait n’ait donné lieu dans le mois à l’exercice de poursuites pénales.
Le délai prévu à l’alinéa qui précède n’est pas applicable lorsqu’une partie invoque un fait ou une faute antérieure à l’appui d’un nouveau fait ou d’une nouvelle faute.
Dans le cas où il y a lieu à application de la procédure prévue à l’article L. 124-2, celle-ci doit être entamée dans le délai fixé à l’alinéa 1er du présent paragraphe. »
Il découle de ce qui précède qu’il appartient à la Cour d’appel, statuant au rescisoire, également de vérifier, sur base des éléments du dossier, la réalité des faits antérieurs à ceux se situant dans le délai légal d’un mois prévu à l’article L.124-10 paragraphe 6 et d’apprécier si tous ces faits, à savoir les faits antérieurs et ceux intervenus le 19 mai et le 21 juin 2010, pris dans leur ensemble, sont d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation avec effet immédiat du contrat de travail et, le cas échéant, d’analyser la régularité formelle du licenciement. (C.S.J., 38355, 14/06/2018).