Démission pour faute grave (oui) – droit aux indemnités légales (oui)
Il se dégage de l’arrêt du 8 juillet 2016 de la Cour constitutionnelle que compte tenu de l’article 10 bis, paragraphe 1 de la Constitution qui dispose que « Les luxembourgeois sont égaux devant la loi », le salarié, qui a résilié de manière justifiée son contrat de travail avec effet immédiat pour faute grave de l’employeur, se trouve dans une situation comparable au salarié dont le licenciement avec effet
immédiat par l’employeur est déclaré abusif et qui bénéficie de plein droit de l’indemnité compensatoire de préavis et de l’indemnité de départ.
La Cour relève en premier lieu qu’un salarié peut démissionner, respectivement résilier son contrat de travail avec effet immédiat pour faute grave dans le chef de l’employeur du moment qu’il dispose d’un ou de plusieurs motif(s) grave(s). Il appartient donc à A d’établir les motifs à la base de sa démission.
A l’instar du délai à respecter par l’employeur en matière de licenciement avec effet immédiat, le salarié ne peut cependant, conformément à l’article L.124-10(6) du code du travail, invoquer à la base de sa démission que des faits dont il a eu connaissance dans le mois.
Il en découle que les motifs invoqués pour justifier une démission avec effet immédiat ou une résiliation du contrat de travail avec effet immédiat pour fautes graves dans le chef de l’employeur doivent avoir existé au moment de celle-ci, et ne doivent pas être antérieurs de plus d’un mois à la rupture de la relation de travail.
C’est à la lumière de ce principe qu’il y a lieu d’examiner les motifs invoqués par le salarié, à savoir principalement la modification de son contrat de travail sans le respect de la procédure prévue par l’article L.121-7 du Code du travail, et, subsidiairement, plusieurs fautes graves dans le chef de l’employeur.
1) Quant à la modification du contrat de travail :
A soutient que les intimées avaient décidé unilatéralement sans l’informer et sans respecter la procédure prévue à l’article L.121-7 du Code du travail de le transférer pendant ses congés de la société S1 sàrl à la société S2 sàrl. Comme il aurait continué à effectuer quasiment les mêmes tâches, à savoir principalement la fonction d’informaticien, différentes fonctions dans le domaine immobilier et en
comptabilité pour le compte du seul et unique gérant des deux sociétés dont il était le bras droit, tout en continuant à faire quelques remplacements ponctuels en tant que vendeur auprès de la sàrl S2 pour rendre service, il ne se serait pas aperçu de ce transfert. Ce ne serait qu’en janvier 2016 qu’il aurait été informé oralement par le sieur B de son affectation permanente comme vendeur auprès de la sàrl S2 avec un planning de travail différent l’obligeant à travailler les vendredis et samedis ce qui l’aurait contraint de modifier son mode de vie quotidien et privé d’exécuter de nombreuses obligations dont notamment ses obligations religieuses. Des clauses
essentielles de son contrat auraient donc été modifiées en sa défaveur, mais malgré différentes mises en demeure les intimées n’auraient pas régularisé la situation.
Les intimées reconnaissent qu’A a été affecté en date du 1er mars 2014 auprès de la sàrl S2 sàrl en qualité de vendeur. Cet engagement se serait cependant réalisé moyennant la conclusion d’un nouveau contrat de travail. Il n’y aurait pas eu de
transfert au sein d’une même entité économique, la sàrl S1 et la sàrl S2 étant des structures différentes avec des activités distinctes et non complémentaires.
Les intimées contestent, par ailleurs, que le salarié eût seulement découvert sa nouvelle affectation en date du 16 janvier 2016. Les fiches de salaires avec reprise de son ancienneté au 1er décembre 2001 auraient été établies à partir du mois de mars 2014 au nom de la sàrl S2 qui lui aurait également réglé son salaire. Les intimées renvoient, en outre, aux courriers et courriels des 28 juin 2014, 29 juillet 2014, 30 décembre 2014 et 13 juillet 2015 desquels résulteraient que l’appelant savait que son employeur était la sàrl S2. Par ailleurs, le salarié aurait uniquement dirigé sa demande de référé pour obtenir le paiement d’arriérés de salaires contre la
sàrl S2.
Une violation de l’article L.121-7 du Code du travail ne pourrait en tout cas pas servir de fondement à une action sur base de l’article L.124-10 alors que les modifications alléguées auraient eu lieu en 2014 et seraient donc trop anciennes pour être prises en considération.
C’est à juste titre que le tribunal de travail a retenu que le salarié est mal venu de contester avoir eu connaissance de son affectation à la sàrl S2 à partir du 1er mars 2014.
En effet, il résulte des éléments du dossier qu’à partir de cette date les fiches de salaires ont été émises par la sàrl S2. Il résulte également de ces fiches que l’ancienneté du salarié a été reprise par la sàrl S2. A cela s’ajoute qu’A a adressé en date des 28 juin 2014, 29 juillet 2014, 30 décembre 2014 et 13 juillet 2015 plusieurs écrits à la sàrl S2 dénotant sa connaissance de son affectation à la sàrl S2.
Notamment, dans sa lettre recommandée adressée à la sàrl S2 il précise « le 1er mars 2014 j’ai été transféré sur S2 SARL » et dans son courriel du 13 juillet 2015 il reconnait avoir reçu un certificat de rémunération de 2014 de la sàrl S2.
Le salarié a, en outre, attrait uniquement la sàrl S2 devant le tribunal de référé pour la voir condamner à lui payer un montant de 3.112,55 euros à titre d’arriérés de salaires pour la période du 31 décembre 2014 au 31 janvier 2016.
Il en résulte que le salarié qui, en connaissance de cause, a accepté de travailler pour la sàrl S2 a également accepté cette dernière comme nouvel employeur dès le mois de mars 2014 et un nouveau contrat de travail s’est formé entre eux. Il en résulte que le changement d’employeur ne peut être invoqué par le salarié pour justifier sa démission avec effet immédiat.
Il en suit également que la juridiction de première instance est à confirmer, quoique pour d’autres motifs, en ce qu’elle a mis hors cause la sàrl S1. En effet, le passage d’A de la sàrl S1 à la sàrl S2 ne peut être qualifié de transfert au sein d’une même unité économique et sociale alors que les deux sociétés exercent des activités distinctes et non complémentaires (la première exploitant une agence immobilière.et la deuxième vendant des cigares et de l’alcool) et que le simple fait qu’une société appartienne à un groupe ou a le même gérant ne suffit pas pour constituer une telle unité.
Le salarié soutient cependant encore que suite à sa nouvelle affectation il a continué à exercer les mêmes fonctions qu’auparavant en sa qualité de porte-parole et de bras droit de C en relation avec la gestion quotidienne des deux sociétés, leurs aspects comptables, informatiques ainsi que des questions de ressources humaines.
Ce ne serait en effet que le 18 janvier 2016 que C l’aurait informé d’une affectation permanente en qualité de vendeur avec un changement de ses horaires de travail entraînant un bouleversement de l’organisation de sa vie au quotidien.
Même à supposer établie cette affirmation du salarié, le changement unilatéral des conditions de travail du salarié non opéré dans le respect de l’article L.121-7 du Code du travail n’est pas intervenu dans le mois précédant la démission avec effet immédiat de l’appelant. Il est donc trop ancien pour pouvoir être invoqué à la base de sa démission du 26 avril 2016.
A ne peut donc se baser sur l’article L.121-7 du Code du travail pour justifier sa démission.
2) Quant aux autres fautes reprochées à l’employeur :
Le salarié a cependant encore invoqué à l’appui de sa démission d’autres fautes de son employeur justifiant, d’après lui, sa démission avec effet immédiat, à savoir une violation des articles L.221-1, L.125-7 du Code du travail, une violation de l’article 11 de la loi modifiée du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel et de l’article L.261-1 du Code du travail ainsi qu’un harcèlement moral.
A fait d’abord valoir que l’employeur aurait systématiquement payé les salaires avec un retard considérable. Il n’aurait pas non plus réglé l’intégralité des salaires, mais il lui aurait seulement payé des acomptes sporadiques sans préciser une période de référence.
En date du 28 février 2014, l’employeur lui aurait redû la somme de 29.290 euros.
Il n’aurait réglé le solde de ces arriérés que le 27 décembre 2015 après maintes mises en demeure.
Le 15 février 2016, les salaires de novembre 2014 à janvier 2016 n’auraient toujours pas été réglés dans leur intégralité. Ce ne serait que la veille des plaidoiries dans l’affaire de référé qu’il avait dû introduire pour obtenir son dû, à savoir le 19 avril 2016, qu’il aurait enfin obtenu le paiement du solde de ces arriérés, soit 584,15 euros.
Après avoir payé l’intégralité de ses salaires des mois de janvier et de février 2016 l’employeur lui aurait à nouveau fait seulement un versement partiel de son salaire du mois de mars 2016 et il n’aurait de surcroît reçu cet acompte qu’après réclamation de son mandataire. Il se prévaut d’une jurisprudence selon laquelle « les retards, bien qu’en partie à qualifier de retards légers, du paiement des salaires, constituent une inexécution des obligations de l’employeur. Ils sont, eu égard à leur caractère répétitif (…) à
qualifier de faute grave dans le chef de l’employeur. (CSJ 10.06 2004, rôle no 28628) ».
Finalement, l’appelant précise encore que ses fiches de salaires ne lui auraient été remises qu’occasionnellement et/ou avec un énorme retard. La fiche de salaire du mois de mars 2016 lui aurait été seulement remise en date du 6 avril 2016 et il n’aurait reçu les fiches de salaires des mois de février et avril 2016 que le 17 mai 2016.
Les fautes de l’employeur auraient perduré jusqu’en avril 2016 et sa démission serait donc intervenue dans le mois de la commission par l’employeur des fautes graves.
La sàrl S2 soutient que ce ne seraient que ses propres fautes qui le cas échéant pourraient être prises en compte et non celles éventuellement commises par la sàrl S1 alors qu’elle était le seul employeur d’A au moment de la résiliation du contrat.
Il s’en suivrait que seuls des arriérés d’un montant de 584,15 euros pourraient être pris en compte. Or, ces arriérés dateraient de 2014 et ne pourraient dès lors servir de motif à la base de la démission avec effet immédiat du salarié du 26 avril 2016.
La fiche de salaire du mois de février 2016 aurait été transmise au mandataire de l’appelant le 14 mars 2016 dans le cadre de la procédure de référé et non pas au mois de mai 2016 comme le soutient le salarié. La remise tardive de la fiche de
salaire du mois de mars 2016 en date du 6 avril 2016 ne pourrait constituer une faute suffisamment grave dans son chef pour justifier une démission sans préavis.
Aux termes de l’article L.221-1du code du travail, le salaire « est payé chaque mois, et ce au plus tard le dernier jour du mois de calendrier afférent ». Le paiement du salaire constitue la contrepartie du travail presté par le salarié et partant l’obligation principale à charge de l’employeur résultant du contrat de travail et les manquements persistants de l’employeur à son obligation de payer à la
fin du mois les salariés constituent un motif grave au sens de l’article L.124-10 du code du travail. Un salarié a en effet droit à une stabilité financière et, dès lors, droit au paiement intégral de ses salaires à la fin de chaque mois.
Il résulte des pièces versées en cause qu’après l’affectation d’A auprès de la sàrl S2 en mars 2014, en raison des difficultés financières de la sàrl S1, son nouvel employeur ne respectait pas non plus son obligation de payer le salaire pour le dernier du mois.
Il en résulte en effet que depuis le mois de mars 2014, la sàrl S2 ne payait systématiquement que des acomptes sur le salaire redu à A et ce encore de manière irrégulière. Ces acomptes ont la plupart du temps été payés avec un retard considérable. Ce n’est qu’après l’introduction de l’affaire en référé au mois de février 2016 que l’employeur a payé le solde des arriérés redus pour la période de
mars 2014 à janvier 2016 la veille de l’audience des plaidoiries, à savoir en date du 19 avril 2016.
Même si l’employeur a réglé l’intégralité du salaire des mois de janvier et février 2016, le salarié n’a toujours pas reçu le paiement de son salaire à la fin du mois. Le compte de l’employeur a en effet seulement été débité le 4 février 2016 et au début du mois de mars 2016.
Le 4 avril 2016, le mandataire du salarié a encore dû réclamer le paiement du salaire du mois de mars 2016. Suivant l’avis de débit relatif au salaire du mois de mars 2016, seul un acompte a à nouveau été payé : « acompte salaire mois de mars 2016 ».
A cela s’ajoute que la fiche de salaire du mois de février a seulement été remise au mandataire de l’appelant dans le cadre de l’instance de référé en date du 14 mars 2016 et la fiche du mois de mars 2016 n’a été remise que le 6 avril 2016.
Il résulte de ce qui précède que l’employeur a encore méconnu ses obligations le mois précédant la démission du salarié, de sorte que pour appuyer sa démission, A est en droit d’invoquer en vertu de l’article L.124-10(6) du code du travail des non paiements antérieurs respectivement des paiements tardifs des salaires ainsi que des remises tardives de fiches de salaire imputables à la sàrl S2.
Au vu de leur caractère répétitif, les paiements tardifs et partiels des salaires à des intervalles irréguliers tels qu’ils résultent des pièces versées en cause, ensemble les remises tardives des fiches de salaires constituent à eux seuls une violation grave des obligations patronales justifiant la démission avec effet immédiat du salarié sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres moyens invoqués par le salarié à l’appui de la démission.
Par réformation du jugement entrepris, la résiliation du contrat de travail par A pour fautes graves de l’employeur est dès lors à déclarer justifiée.
Par réformation du jugement entrepris, A est en outre à décharger du paiement d’une indemnité pour préavis non respecté à la sàrl S2.
II) Quant aux montants indemnitaires :
1) Quant aux indemnités de préavis et de départ :
A réclame l’octroi d’une indemnité de préavis de 3.664,47 x 6 = 21.986,82 euros et d’une indemnité de départ de 3.664,47 x 3 = 10.993,41 euros.
La sàrl S2 se rapporte à prudence de justice.
Il se dégage de l’arrêt du 8 juillet 2016 de la Cour constitutionnelle que compte tenu de l’article 10 bis, paragraphe 1 de la Constitution qui dispose que « Les luxembourgeois sont égaux devant la loi », le salarié, qui a résilié de manière justifiée son contrat de travail avec effet immédiat pour faute grave de l’employeur, se trouve dans une situation comparable au salarié dont le licenciement avec effet
immédiat par l’employeur est déclaré abusif et qui bénéficie de plein droit de l’indemnité compensatoire de préavis et de l’indemnité de départ.
Compte tenu de l’ancienneté reconnue au salarié (1er décembre 2001), A a droit à une indemnité de préavis correspondant à six mois de salaires ainsi qu’à une indemnité de départ de trois mois.
Il suit des considérations qui précèdent que les demandes du salarié sont à déclarer fondées pour les montants non autrement contestés de 21.986,82 et 10.993,41 euros.
2) Quant au préjudice matériel :
A réclame le montant de 43.973,64 euros à titre d’indemnisation pour le préjudice matériel subi par rapport à une période de référence de douze mois. L’employeur s’oppose à la demande du salarié en allocation de dommages intérêts pour un prétendu préjudice matériel subi à défaut par lui d’établir qu’il a entrepris des démarches pour retrouver un nouvel emploi après son départ.
Si l’indemnisation du salarié, victime d’un licenciement abusif doit être aussi complète que possible, seul le dommage qui se trouve en relation causale directe avec le licenciement doit normalement être pris en considération pour fixer le préjudice matériel. A cet égard, les pertes subies ne sont à prendre en considération que pour autant qu’elles se rapportent à une époque qui aurait raisonnablement dû suffire pour permettre au salarié de trouver un nouvel emploi équivalent, le salarié étant obligé de faire tous les efforts nécessaires pour trouver un emploi en remplacement.
La Cour constate qu’A ne verse aucune pièce de nature à étayer qu’il ait entrepris de quelconques recherches personnelles pour retrouver au plus vite un nouvel emploi. Restant en défaut d’établir un préjudice matériel en relation causale avec la rupture
de son contrat de travail pour faute grave dans le chef de son employeur, il ne saurait prétendre à des dommages et intérêts de ce chef.
3) Quant au préjudice moral :
Le salarié conclut à l’allocation d’un montant de 5.000 euros. L’employeur conteste le montant réclamé. Compte tenu de l’atteinte portée à la dignité de travailleur de l’appelant et de son ancienneté, il y a lieu de lui allouer un montant de 2.000 euros à titre de dommage moral. (C.S.J., 1/02/2018, 44587).