Démission du salarié – motivation dans la lettre (non)- motivation en cours d’instance (oui) – faute grave (oui)

La démission du salarié pour motif grave dans le chef de l’employeur n’est soumise à aucune règle de forme et le salarié n’est partant pas obligé de communiquer les motifs de sa décision à l’employeur. Il suffit qu’il les énonce en cas d’action en justice intentée soit par lui même sur base de l’article L.124-10 (1), soit par l’employeur sur base de l’article L.124 (6), afin de permettre aux juges d’apprécier si la résiliation immédiate a été occasionnée par une faute grave dans le chef de l’employeur autorisant le salarié à démissionner sans préavis.

A l’appui de son appel, A fait valoir que l’employeur connaissait parfaitement les raisons de la démission avec effet immédiat alors qu’elle les lui avait exposées à maintes reprises avant de démissionner finalement ; qu’il serait constant en cause que l’employeur manquait de respecter ses obligations légales et contractuelles à son égard ; qu’elle se voyait imposer des cadences de travail infernales, dépassant les horaires de travail normaux sans en avoir le paiement ; qu’elle se voyait humiliée à son poste de travail par son employeur qui ne manquait pas de l’attaquer personnellement en lui manquant du respect élémentaire ; qu’elle se voyait
également être l’objet d’harcèlement dont les éléments constitutifs se sont prolongés jusqu’à sa démission ; qu’en conséquence, elle n’aurait eu d’autre moyen que de démissionner avec effet immédiat, alors que le maintien de la relation de travail était devenu impossible ; que la démission était partant justifiée et que l’employeur devrait être débouté de sa demande en indemnisation.

La société S1 conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce que les premiers juges ont retenu qu’A n’avait pas précisé en cours d’instance les motifs concrets l’ayant poussée à démissionner.

Ainsi que l’ont relevé à bon escient les premiers juges, la démission du salarié pour motif grave dans le chef de l’employeur n’est soumise à aucune règle de forme et le salarié n’est partant pas obligé de communiquer les motifs de sa décision à l’employeur. Il suffit qu’il les énonce en cas d’action en justice intentée soit par lui même sur base de l’article L.124-10 (1), soit par l’employeur sur base de l’article L.124 (6), afin de permettre aux juges d’apprécier si la résiliation immédiate a été occasionnée par une faute grave dans le chef de l’employeur autorisant le salarié à démissionner sans préavis.

En l’espèce, il résulte des conclusions prises en instance d’appel par A qu’elle reproche à son ancien employeur les faits suivants:
– qu’elle n’était pas rémunérée pour les heures supplémentaires qu’elle prestait au service de l’employeur qui lui imposait des cadences de travail dépassant les horaires de travail normaux ;

– qu’elle ne bénéficiait pas au cours d’une période de sept jours, d’une période minimale de repos sans interruption de quarante-huit heures ;

– que l’employeur manquait d’assurer sa sécurité physique et sa santé psychique à son poste de travail, alors qu’il tolérait le harcèlement et les insultes du gérant à son égard. Pour étayer ses dires, A verse ses fiches de salaires de juin 2015 à octobre 2015 et
une attestation testimoniale de sa collègue de travail T1. En ordre subsidiaire, elle formule une offre de preuve par voie testimoniale pour établir sa version des faits.

La société S1 conteste la version des faits avancés par l’appelante.

Elle demande le rejet de l’attestation testimoniale de T1 au motif qu’elle est imprécise et non pertinente. Selon l’intimée, la collègue de travail d’A ne saurait attester sur des faits qu’elle ne pouvait connaître avec certitude, étant donné qu’elle n’avait jamais introduit de procédure devant le tribunal du travail pour obtenir le paiement d’éventuelles heures supplémentaires, ce qui signifierait qu’elle n’était
pas présente au moment des faits et qu’elle ne peut ainsi attester les faits décrits par l’appelante.

Il résulte des points 4 et 5 du contrat de travail signé entre parties qu’A avait été engagée pour une durée de travail de 40 heures par semaine et que son horaire de travail était de 10h à 14h, et de 18h à 23h, mais qu’il pouvait varier en fonction des besoins de l’employeur.

Or, il ressort de l’attestation testimoniale de T1, également au service de la société S1 pendant la même période et dont la relation de travail a pris fin d’un commun accord le 31 janvier 2016, qu’A avait un horaire de travail dépassant le cadre conventionnel fixé entre parties, alors qu’elle n’avait qu’une heure de pause au lieu de trois ou quatre heures entre les services et qu’elle travaillait selon les horaires suivants : de 9.30 à 16.30 heures et de 17.30 à 23.00 heures, voire jusqu’à 24.00 heures.

Il s’en dégage encore que lors de grandes soirées organisées au restaurant, A ne pouvait pas prendre de pause, car elle devait faire la mise en place (tables, chaises, nettoyage, déco…) et que le soir elle terminait tard dans la nuit ; qu’elle travaillait parfois même jusqu’à 3 heures du matin pour revenir au travail à 9.30 heures le lendemain matin.

Comme T1 travaillait en tant qu’aide-cuisinière aux services de la société S1, elle était partant bien placée pour observer les heures de travail habituellement prestées par sa collègue de travail.

L’affirmation de T1 quant au non-paiement du nombre important d’heures supplémentaires prestées par A se trouve encore corroborée par les fiches de salaires versées qui ne renseignent pas la rémunération des heures supplémentaires.

Il résulte enfin de l’attestation testimoniale qu’A a pris la décision de démissionner, alors qu’elle ne pouvait plus supporter la pression, suite à l’accumulation des heures supplémentaires prestées, voire des actes d’harcèlement et des insultes de la part du père du responsable du local qui travaillait également dans la cuisine.

Il découle de l’ensemble de ces éléments qu’A a établi à suffisance le caractère justifié de sa démission pour faute grave dans le chef de son employeur l’autorisant à résilier avec effet immédiat le contrat de travail entre parties.

Il en suit que la demande de la société S1 en paiement d’une indemnité compensatoire de préavis d’un mois de salaire n’est pas fondée.

Il y a partant lieu de réformer en ce sens le jugement entrepris. (C.S.J., 01/02/2018, 44655).