Contrat de figurant : demande en requalification en contrat de travail

Par un jugement rendu contradictoirement en date du 7 juillet 2016, le tribunal du travail s’est déclaré incompétent pour connaître du litige et a déclaré le jugement à intervenir commun à la CAISSE NATIONALE DE SANTÉ, à l’ASSOCIATION D’ASSURANCE CONTRE LES ACCIDENTS et au CENTRE COMMUN DE LA SECURITÉ SOCIALE.

Pour statuer comme il l’a fait le tribunal, après avoir rappelé les principes en matière de compétence, a décidé que « Si le contrat de collaboration artistique de figurant/silhouette en soi ne permet partant pas de conclure à l’existence d’un contrat de travail entre parties, encore faut-il analyser si, en pratique, les relations entre parties n’ont pas présenté les caractéristiques d’un contrat de travail. 

Or, en l’espèce, A ne tend nullement à établir l’existence d’un lien de subordination d’employé à employeur qui constitue cependant l’élément essentiel du contrat de travail.

Il convient de retenir que le contrat de collaboration artistique de figurant/silhouette réglemente l’apparition de A comme figurante à l’occasion du tournage d’un film prévu pour une seule journée. Aucun élément dudit contrat ne permet de caractériser l’existence d’un lien de subordination de celle-ci à l’égard de la société de production S1 se manifestant par un véritable pouvoir de direction dans le chef de ces derniers. 

Quant à la rémunération, il a été convenu entre parties que la requérante touche un « dédommagement journalier pour collaboration artistique » de 50 euros. Il résulte de ce qui précède que la partie requérante n’a pas établi l’existence d’un contrat de travail caractérisant l’existence d’un lien de subordination entre A et la société S1. » 

A a régulièrement relevé appel du susdit jugement par exploit d’huissier du 29 août 2016.

L’appelante demande, par réformation, de dire que le « contrat et reçu de collaboration artistique de figurant/Silhouette » du 3 mars 2012 signé par les parties est principalement un contrat de travail à durée déterminée, subsidiairement un contrat de travail à durée indéterminée, de dire que son salaire horaire brut était de 10.4132 €, de dire que la société S1 SA lui redoit la somme nette de 21,20 €, de dire que l’employeur sera tenu de lui délivrer une fiche de paie conforme au regard du travail presté avec une astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir.

Elle maintient avoir été liée à la société S1 SA par un contrat de travail et elle invoque les articles 2 du règlement grand-ducal du 11 juillet 1989 ainsi que 61 du NCPC pour demander la requalification de son contrat en contrat de travail à durée déterminée ou en contrat de travail à durée indéterminée, dès lors qu’elle est d’avis qu’il serait d’usage dans le domaine de la production audiovisuelle, cinématographique et phonographique de recourir à la notion même de contrat de travail.

Elle soutient que si le législateur a légiféré ainsi, c’est notamment pour permettre aux figurants de bénéficier des dispositions protectrices inhérentes à la relation de travail, et donc en matière d’accident du travail.

Elle détaille encore les séquelles physiques subies suite à la chute faite lors de sa figuration, préjudicie matériel qu’elle fixe à 8.342,23 euros non remboursés, ainsi que ses frais d’hospitalisation non chiffrés à ce stade et enfin son pretium doloris fixé à 13.837,29 euros.

L’intimée conclut à la confirmation du jugement entrepris dans la mesure où la partie appelante reste en défaut de prouver l’existence d’un contrat de travail ; elle maintient encore son moyen tenant à la prescription de la demande en paiement de salaire.

L’intimée rappelle qu’elle a coproduit, avec la société française S2, le film « X », dont le tournage a eu lieu au cours de l’année 2012, notamment au Luxembourg. En date du 3 mars 2012, le tournage du film s’est déroulé à Y, dans les studios de cinéma à L-(…).

La journée du 3 mars 2012 était destinée au tournage d’une scène avec des figurants devant se trouver dans un décor de grand magasin.

En amont, la directrice de casting a été chargée de procéder à la recherche de figurants en vue de cette journée. Pour ce faire, elle a contacté des figurants se trouvant sur sa liste de contacts et a notamment pris contact avec Mme B, pour lui proposer de participer au tournage.

Le jour du tournage, le samedi, 3 mars 2012, B s’est présentée au studio, accompagnée d’une amie à elle, A, souhaitant elle aussi faire partie des figurants. A s’est donc présentée d’elle-même, sans avoir été contactée, pour participer au tournage.

Dans la mesure où la scène tournée ce jour nécessitait la présence d’une foule dans un grand magasin, la responsable de casting a accepté la demande de A et lui a fait signer un document intitulé « Contrat et reçu de collaboration artistique de figurant/silhouette ».

Le scénario prévoyait que, suite à une explosion survenue au sein du grand magasin, la foule devait s’enfuir. Lors du tournage de la scène, A a chuté alors qu’elle était, d’après la société S1 SA, ivre.

Pour l’intimée les trois éléments caractérisant le contrat de travail feraient défaut en l’espèce et l’article 2 du règlement du 11 juillet 1989 invoqué préciserait uniquement que des contrats à durée déterminée pourraient être conclus dans le secteur d’activité concerné, partant seulement une possibilité et non une obligation ;

elle conteste encore l’existence de tout lien de subordination entre elle et la dame A.

L’appelante formule encore l’offre de preuve par témoin de la teneur suivante :

« le 3 mars 2012, A n’était absolument pas alcoolisée. Une fois l’accident intervenu, et alors qu’elle était prise en charge par les pompiers dans le camion de pompier, une personne s’est précipitée pour faire signer à A un contrat avant qu’elle ne parte à l’hôpital ». 

Compétence ratione materiae. 

La Cour relève à l’instar de l’appelante que d’après l’article 2 du règlement grand-ducal du 11 juillet 1989 portant application des dispositions des articles 5, 8, 34 et 41 de la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail :

« Les secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois sont les suivants : 

dans le secteur de l’audiovisuel : les annonceurs-présentateurs de radio et de télévision, les rédacteurs-programmateurs de radio et de télévision, les animateurs de radio et de télévision ainsi que les producteurs, les réalisateurs, les régisseurs et les reporters-cameramen de radio et de télévision ;

dans le secteur de la production audiovisuelle, cinématographique et phonographique : les producteurs, auteurs, compositeurs, interprètes, acteurs et figurants, metteurs en scène, réalisateurs, scriptes, assistants de production, cameramen, reporters-photographes, décorateurs, maquilleurs, habilleurs, régisseurs, monteurs, ainsi que les opérateurs du son, de l’éclairage et de la vision. » 

Il en découle que les figurants peuvent être liés par un contrat de travail à durée déterminée à la condition néanmoins d’en prouver l’existence.

C’est à bon droit, en présence des contestations émises par la société S1 SA relatives à la compétence des juridictions du travail pour connaître de l’affaire, que le tribunal du travail a rappelé que « l’existence d’un contrat de travail présuppose la réunion de trois éléments, à savoir une prestation de travail, une rémunération, et un lien de subordination avec le pouvoir de direction inhérent à la qualité d’employeur ». 

Il incombe par ailleurs à la partie qui se prévaut d’un contrat de travail d’en prouver la réalité, donc à A.

En l’espèce les parties ont conclu en date du 3 mars 2012 un contrat intitulé « contrat et reçu de collaboration artistique de Figurant/ Silhouette ». 

S’il est de principe que les juridictions doivent restituer au contrat conclu entre parties sa véritable nature juridique en analysant les différents critères caractéristiques du contrat de travail, il en va autrement lorsque, comme en l’espèce, les parties ont formellement entendu exclure l’existence entre elles d’un contrat de travail. 

L’article 9 du contrat litigieux stipule en effet « …Le présent contrat de collaboration artistique constitue juridiquement un contrat de louage d’ouvrage ou encore un contrat d’entreprise. En aucun cas il ne constitue ni un contrat de travail, ni une association, ni une constitution de société entre parties. » 

A a signé la prédite clause ensemble son contrat de travail en pleine connaissance de cause et ne se prévaut pas d’un vice du consentement.

Aux termes de l’article 1134 du code civil les conventions légalement formées tiennent lieu de lois aux parties qui les ont faites et elles s’exécutent de bonne foi d’après l’article 1134 alinéa 3 du même code.

Il résulte de ces dispositions la force contraignante du contrat de travail entre les parties.

Cette force obligatoire s’impose aux parties et au juge, lesquels ne peuvent modifier ce qui a été convenu surtout si, comme en l’espèce, les dispositions contractuelles sont claires et non ambigües et ne prêtent dès lors pas à interprétation, sauf à dénaturer les obligations qui en résultent.

Il en découle, en présence de l’article 9 comportant une clause exclusive d’une relation de travail que A est malvenue de prétendre avoir été liée à la société S1 SA par un contrat de travail.

Le jugement est partant à confirmer bien que pour d’autres motifs. (C.S.J., 3ème, 12/10/2017, 44074).

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