Compétence territoriale – determination
Le Règlement (UE) no 1215/2012, applicable au présent litige intenté en 2018, dispose en son article 21, relatif à la compétence en matière de contrats individuels de travail, que :
« 1. Un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait:
a) devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile; ou
b) dans un autre État membre:
i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail; ou
ii) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur. »
Aux termes de l’article 23 « Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions:
1) postérieures à la naissance du différend; ou
2) qui permettent au travailleur de saisir d’autres juridictions que celles indiquées à la présente section. »
Non seulement, le contrat de travail signé le 9 mai 2017 entre les parties, en prévoyant selon les traductions respectives du contrat de travail versées par les parties que les litiges seront portés devant l’« ordinary court of law » ou la « general court », ne prévoit pas explicitement une attribution de compétence aux juridictions suédoises, mais encore une telle convention ne serait pas valable en vertu de l’article 23 précité.
La Cour de justice des communautés européennes a décidé dans l’affaire (M…) (CJCE, 13 juill. 1993, aff. C-125/92), au sujet d’un travailleur exerçant son activité de représentation commerciale dans plusieurs pays, que, dans l’hypothèse d’un contrat de travail en exécution duquel le salarié exerce ses activités dans plus d’un État contractant, le lieu où l’obligation caractérisant le contrat de travail a été ou doit être exécutée est celui où, ou à partir duquel, le travailleur s’acquitte principalement de ses obligations à l’égard de son employeur et que pour la détermination de ce lieu, il convient de tenir compte de la circonstance que l’exécution de la mission confiée au salarié a été assurée à partir d’un bureau situé dans un État contractant, où ce travailleur avait établi sa résidence, à partir duquel il exerçait ses activités pour son employeur et où il revenait après chaque déplacement professionnel dans d’autres pays.
La même Cour a retenu dans l’affaire (R….), (CJCE, 9 janv. 1997, aff. C-383/95) que dans l’hypothèse d’un contrat de travail en exécution duquel le salarié exerce ses activités dans plus d’un État contractant, le lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail, est celui où il a établi le centre effectif de ses activités professionnelles et que, pour la détermination concrète de ce lieu, il convient de prendre en considération la circonstance que l’intéressé accomplit la majeure partie de son temps de travail dans un des États contractants où il a un bureau à partir duquel il organise ses activités pour le compte de son employeur et où il retourne après chaque voyage professionnel à l’étranger.
Dans l’affaire (W….) (CJUE, 27 févr. 2002, aff. C-37/00) la Cour a finalement précisé que, dans l’hypothèse où le salarié exécute les obligations résultant de son contrat de travail dans plusieurs États contractants, le lieu où il accomplit habituellement son travail, est l’endroit où, ou à partir duquel, compte tenu de toutes les circonstances du cas d’espèce, il s’acquitte en fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur. S’agissant d’un contrat de travail en exécution duquel le salarié exerce les mêmes activités au profit de son employeur dans plus d’un État contractant, il faut, en principe, tenir compte de toute la durée de la relation de travail pour déterminer le lieu où l’intéressé accomplissait habituellement son travail, au sens de ladite disposition. À défaut d’autres critères, ce lieu est celui où le travailleur a accompli la plus grande partie de son temps de travail. Il n’en serait autrement que si, au regard des éléments de fait du cas d’espèce, l’objet de la contestation en cause présentait des liens de rattachement plus étroits avec un autre lieu de travail.
La Cour de cassation française (ch. soc. 27 novembre 2013, n° 12-24.880, publié au bulletin) a décidé qu’un employeur ayant son domicile sur le territoire d’un Etat membre peut être attrait dans un autre Etat membre devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail. Le lieu de travail habituel est l’endroit où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l’intégralité de la période d’activité du travailleur. En cas de périodes stables de travail dans des lieux successifs différents, le dernier lieu d’activité devrait être retenu dès lors que, selon la volonté claire des parties, il a été décidé que le travailleur y exercerait de façon stable et durable ses activités.
La question préjudicielle proposée par le salarié manque de pertinence dans la mesure où elle est sans incidence sur l’appréciation de la notion de « lieu de travail habituel » telle qu’elle se dégage des jurisprudences citées.
En l’occurrence, l’employeur a son siège en Suède et le contrat de travail prévoyait comme lieu de travail Stockholm, en Suède, tout en précisant que le salarié serait amené à voyager en Suède et à l’étranger. Les parties n’ont signé aucun avenant au contrat de travail prévoyant un changement du lieu de travail vers le Grand-Duché de Luxembourg.
Il n’est pas contesté qu’au courant de l’été 2017, l’employeur a transféré son siège social à (…) en Suède.
Dans un document intitulé « Certificate of Employment » du 23 novembre 2017 l’employeur a certifié, à la demande du salarié, que celui-ci effectuait ses tâches au moins deux jours par semaine à (…) et que pour les trois jours restants, « he has the option of working out of another place ».
Il découle de ce certificat que le travail du salarié était compatible avec des prestations effectuées à distance et que le salarié était autorisé à effectuer partiellement ses tâches par télétravail. Le fait que le salarié était autorisé à travailler trois jours par semaine depuis son domicile n’est par ailleurs pas contesté par l’employeur.
Contrairement à ce que fait plaider le salarié, il ne résulte cependant pas des éléments du dossier que l’employeur a donné son accord à un transfert au Luxembourg du lieu de travail de son salarié. En effet, le certificat n’indique pas l’endroit à partir duquel le salarié était autorisé à effectuer son travail pendant trois jours par semaine.
Suivant un certificat de résidence établi par la Ville de Luxembourg, le salarié est inscrit depuis le 6 juillet 2017 à Luxembourg. Or, il résulte d’un extrait du registre de la population suédois que le salarié n’a émigré de Stockholm à Luxembourg que le 19 décembre 2017, soit quelques semaines après l’émission du prédit certificat par l’employeur.
L’affirmation de l’employeur que le certificat a été établi en considération du fait que le salarié habitait à Stockholm est corroborée par les déclarations faites par E), « Head of HR », dans son attestation testimoniale versée en cause.
En ce qui concerne les différents courriels auxquels le salarié se réfère, il y a lieu de relever que non seulement ils n’ont pas fait l’objet d’une traduction assermentée, mais que de toute façon, il n’en résulte pas une volonté non équivoque de l’employeur d’accepter un changement du lieu du travail du salarié vers le Luxembourg dans la mesure où, par courriel du 23 novembre 2017, il s’oppose à prendre en charge toute augmentation des coûts en raison d’une éventuelle résidence du salarié au Luxembourg.
Ces éléments ne suffisent dès lors pas à établir l’accord de l’employeur de voir transférer le lieu de travail du salarié au Luxembourg.
En ce qui concerne l’affiliation du salarié auprès du CCSS, à laquelle l’employeur a procédé en date du 12 janvier 2018 pour la période du 19 décembre 2017 au 31 juillet 2018, elle ne saurait en aucun cas constituer une preuve suffisante du lieu de travail habituel du salarié qui doit s’apprécier selon les critères factuels dégagés ci-avant.
L’affiliation ne saurait pas non plus constituer un aveu extrajudiciaire par l’employeur en ce qui concerne le lieu de travail du salarié étant donné qu’il n’est pas établi qu’elle a été effectuée en toute connaissance de cause par une personne habilitée à engager l’employeur, ce d’autant moins au vu des attestations testimoniales de D) et E).
Il s’y ajoute que, suite aux multiples réclamations du mandataire de l’employeur, le CCSS a finalement pris la décision d’annuler l’affiliation du salarié aux régimes de sécurité sociale luxembourgeois pour la période du 19 décembre 2017 au 31 juillet 2018.
Par ailleurs, il résulte de l’attestation testimoniale de D) que pendant toute cette période l’employeur a payé les cotisations sociales du salarié en Suède.
Les éléments du dossier ne permettent dès lors pas de retenir l’accord clair et non équivoque des parties que le salarié exercerait de façon stable et durable ses activités à son domicile au Luxembourg.
Face aux contestations de l’employeur, il appartient au salarié d’établir que son lieu de travail habituel se situait au Luxembourg. La jurisprudence invoquée par le salarié, concernant un renversement de la charge de la preuve en cas de contrat de travail prétendument fictif, ne saurait être transposée au présent cas.
Le fait que l’ADEM ait fini par reconnaître le droit du salarié à des prestations de chômage au Luxembourg n’est pas de nature à établir que le lieu de travail habituel au sens de l’article 21 du Règlement (UE) no 1215/2012 précité se situait au Luxembourg.
Force est de constater que le salarié ne verse pas de preuve qu’il a effectué de manière effective et habituelle son travail à partir du Luxembourg.
En effet, les quelques courriels datant de décembre 2017 et de mi- à fin février 2018 ne font non seulement pas l’objet d’une traduction assermentée, mais il n’en résulte de toute façon pas qu’ils aient été rédigés au Luxembourg et, même si tel avait été le cas, ils ne sauraient suffire à établir que le salarié a travaillé la majeure partie du temps au Luxembourg.
De même, les tickets d’avion datant d’avant novembre 2017 manquent de pertinence alors qu’il n’est même pas allégué que l’employeur ait donné son accord à un changement du lieu de travail avant cette date. Si les tickets d’avion postérieurs et les factures d’hôtel démontrent l’existence de quelques déplacements du salarié entre le Luxembourg et la Suède, il n’en résulte pas pour autant que le salarié a effectivement travaillé la plupart du temps au Luxembourg.
Il résulte de l’attestation testimoniale de E) que le salarié était en congé de maladie de décembre 2017 à fin janvier 2018. Suivant un courrier du mandataire de l’employeur à celui du salarié en date du 15 février 2018, l’employeur a annulé son autorisation donnée en novembre 2017 au salarié d’exécuter pour partie sa prestation de travail depuis son domicile et indiqué que le salarié devait, à partir du 19 février 2018, effectuer tout son travail à (…). Suivant courrier du 2 mars 2018, le salarié a été dispensé de travailler à partir de cette date pendant le reste de son préavis courant, d’après l’employeur, jusqu’au 31 juillet 2018.
Il en découle que, sur l’ensemble de la période d’activité du salarié employé du 9 mai 2017 au 31 juillet 2018, le salarié a accompli la majeure partie de son travail en Suède. Il accomplissait dès lors habituellement son travail en Suède, au sens de l’article 21 du Règlement (UE) no 1215/2012 précité.
Le jugement est partant à confirmer en ce qu’il a retenu que les juridictions du travail luxembourgeoises sont incompétentes pour connaître du litige. (C.S.J, 22/10/2020, Numéro CAL-2019-00262 du rôle.).