Cadre supérieur et convention collective des employés de banque

Saisi par requête déposée le 21 juin 2013 par A, s’estimant être soumis à la convention collective de travail des employés de banque, contestant partant sa qualité ou son statut de cadre supérieur de la B SA, d’une demande en paiement d’une prime d’ancienneté d’un montant de 4.974,35 euros, d’une prime de conjoncture de 13.164,00 euros et d’un treizième mois de 27. 772,82 euros, ainsi que de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices matériel et moral, le tribunal du travail de Luxembourg a, par jugement contradictoire du 31 mars 2014, décidé qu’A a exercé les fonctions de cadre supérieur de la banque,  écarté le moyen d’irrecevabilité tiré de la prescription soulevé par la société anonyme B SA, dit les demandes de A recevables mais non fondées.

De cette décision A a régulièrement relevé appel suivant exploit du 14 mai 2014, concluant, par réformation du jugement déféré, à voir constater son statut de salarié conventionné au sens de l’article L.162-8.(3), partant à voir condamner la société B SA à lui payer les mêmes montants que ceux sollicités en première instance, ainsi qu’une indemnité de procédure de 2.000 euros.

Suivant ses dernières conclusions, la partie intimée, la société B SA, réitérant ses contestations quant aux principe et montant des demandes de A, conclut à la confirmation du jugement entrepris.

L’appelant reproche à la juridiction du premier degré d’avoir considéré qu’il a été cadre supérieur au sein de la banque intimée et qu’il n’avait de ce fait pas droit au paiement de la prime d’ancienneté, de la prime de conjoncture, ainsi que d’un treizième mois prévues par la convention collective de travail des employés de banque. Il conteste avoir occupé en fait un poste correspondant à la définition donnée par l’article L.162-8 (3) alinéa 3 du code du travail au sein de l’établissement bancaire.

Il fait encore grief au tribunal du travail d’avoir opéré un renversement de la charge de la preuve, en décidant de mettre à sa charge la preuve de son statut de salarié conventionné, qu’il incomberait cependant, en vertu du principe général du droit, selon lequel c’est à celui qui se prévaut de quelque chose, donc à l’employeur, qui voudrait tirer bénéfice de ce statut, d’en rapporter la preuve, que l’employeur étant la partie économiquement la plus forte dans les relations de travail et possédant toutes les ressources matérielles nécessaires pour pouvoir établir la preuve, ou non, des différentes conditions imposées, de sorte qu’il lui serait en fait impossible, n’ayant pas accès aux mêmes données, de faire la preuve de son statut de salarié conventionné.

Il conteste encore avoir donné son accord exprès à la qualification de cadre supérieur en signant le contrat de travail, sinon il y aurait lieu de dire qu’un éventuel « accord exprès » de se voir imposer des conditions moins favorables que celles prévues par la convention collective, doit être analysé in concreto par rapport à la situation individuelle du salarié et l’interprétation doit se faire de manière stricte.

Il soutient que le tribunal du travail n’a cependant pas analysé de manière concrète sa situation de salarié et n’a aucunement motivé en quel sens il aurait pu être considéré que l’appelant a donné un accord exprès.

Il précise que son contrat de travail signé en 2000 constituait le premier contrat signé avec la B SA au Luxembourg, que n’ayant jamais travaillé au Luxembourg, il ignorait les subtilités du droit luxembourgeois et le contrat de travail ne contenant aucune explication quant à la spécificité des cadres supérieurs par rapport aux employés conventionnés, ne peut être considéré comme ayant été signé en connaissance de cause.

Il en conclut qu’il n’a pas pu marquer son accord exprès, dès lors que le contrat de travail présente manifestement un déséquilibre important et ne peut en aucun cas être considéré comme contrat conclu sur un pied d’égalité et en connaissance de cause, qui pourrait, le cas échéant, justifier un renversement de la charge de la preuve.

Les articles pertinents du code du travail pour la solution du litige relatifs à la question de savoir si la convention collective du travail des employés de banque est applicable à A sont de la teneur suivante :

« (1) Sont soumises aux dispositions d’une convention collective ou d’un accord subordonné toutes les personnes qui les ont signés personnellement ou par mandataire.

(2) Lorsqu’un employeur est lié par de tels conventions ou accords, il les applique à l’ensemble de son personnel visé par la convention ou l’accord en cause.

(3) Sauf disposition contraire de la convention collective ou de l’accord subordonné, les conditions de travail et de salaire des salariés ayant la qualité de cadres supérieurs ne sont pas réglementées par la convention collective ou l’accord subordonné conclus pour le personnel ayant le statut d’employé.

Toutefois, les parties contractantes qualifiées au sens des dispositions qui précèdent peuvent décider de négocier une convention collective particulière pour les cadres supérieurs au sens des dispositions visées ci-dessus.

Sont considérés comme cadres supérieurs au sens du présent titre, les salariés disposant d’une rémunération nettement plus élevée que celle des salariés couverts par la convention collective ou barémisés par un autre biais, tenant compte du temps nécessaire à l’accomplissement des fonctions, si cette rémunération est la contrepartie de l’exercice d’un véritable pouvoir de direction effectif ou dont la nature des tâches comporte une autorité bien définie, une large indépendance dans l’organisation du travail et une large liberté des horaires du travail et notamment l’absence de contraintes dans les horaires. (…) ».

Il en découle que la convention collective est applicable à l’ensemble du personnel et que, sauf disposition contraire de la convention collective ou encore existence d’une convention collective spécifique applicable aux seuls cadres supérieurs, hypothèses non remplies en l’espèce, les conditions de travail et de rémunération des employés ayant la qualité de cadres supérieurs ne sont pas réglementées par ladite convention collective conclue pour le personnel ayant le statut d’employé.

L’article 1er de la convention collective exclut de son application les cadres supérieurs visés par l’article L.162-8 du code du travail.

La banque, excipant du statut de cadre supérieur de son salarié, doit en principe établir qu’il exerçait en son sein des fonctions dirigeantes de cadre supérieur, rémunérées de façon nettement plus élevée que celles d’un employé tombant sous le champ d’application de la convention collective.

Le salarié qui conteste avoir donné son accord exprès à être qualifié de cadre supérieur en signant le contrat de travail, de sorte qu’aucun renversement de la charge de la preuve n’a pu s’opérer dans le cas d’espèce, ne tire cependant aucune conclusion quant à la validité, respectivement du contrat de travail l’ayant lié à la B SA, ni de la clause litigieuse.

Dès lors que le salarié n’établit pas que son consentement ait été vicié, respectivement que cette disposition contractuelle est contraire à la loi sur le contrat de travail, respectivement à la convention collective, elle s’impose aux parties en tant que telle et n’a aucune incidence sur la charge de la preuve de la qualité ou non de cadre supérieur.

Cependant, il résulte des pièces dont la Cour a eu égard, que A, en signant son contrat de travail le 16 mars 2000, qui le qualifie de « aussertariflichen Mitarbeiter», a expressément marqué son accord à ce qu’il fasse désormais partie des cadres supérieurs de la banque et soit exclu du champ d’application de la convention collective.

Tel que l’a relevé à juste titre le tribunal du travail, il n’appartient dès lors plus à la banque mais à A, qui soutient que son salaire ne correspondait pas à celui d’un cadre supérieur et qu’il n’avait en réalité jamais bénéficié d’un véritable pouvoir de direction effectif au sens de l’article L.162-8 (3) alinéa 3 du code du travail, d’en rapporter la preuve.

Concernant le niveau de rémunération de A, il est constant comme résultant des pièces versées que son salaire de base brut s’élevait à 8.000 euros.

Il prétend que ce salaire n’était pas nettement supérieur à celui des salariés intégrés dans la catégorie de salaire la plus élevée de la convention collective et présentant la même ancienneté de service que lui, à savoir la catégorie des employés classés dans la catégorie VI, seuil 2.

Or, il ressort du décompte établi par la banque, non contesté par le salarié par des éléments pertinents, que la rémunération à laquelle il soutient avoir pu prétendre, par application de la convention collective, en qualité d’employé classé dans la catégorie VI, seuil 2 n’était pas supérieure à ce qu’il a touché en sa qualité de cadre supérieur au moment de son départ.

Au contraire, tel que l’a à bon escient relevé le tribunal du travail, sur base des pièces lui soumises, d’après la comparaison établie par la B SA entre le total des rémunérations payées à A entre 2010 et 2012 et celles auxquelles il aurait pu prétendre, si la convention collective lui avait été applicable et s’il avait fait partie de la catégorie salariale VI, seuil 2, de ladite convention collective, fait ressortir une différence en faveur du salarié de 1.334,73 euros par mois, somme  correspondant à 20% de la rémunération qu’il aurait théoriquement perçue en qualité de salarié conventionné.

C’est partant à bon droit que la juridiction de première instance a retenu qu’il devait être considéré que la rémunération du requérant était nettement plus élevée que celle des salariés couverts par la convention collective, faisant partie du groupe salarial le plus élevé présentant la même ancienneté que lui, avec la considération que le prédit montant correspond approximativement au salaire social minimum mensuel d’un travailleur non qualifié calculé en valeur nette.

L’appelant reste partant en défaut d’établir qu’il n’a pas touché une rémunération nettement supérieure que celle des employés de banque soumis à la convention collective, de sorte que le jugement est à confirmer sur ce point.

A reste encore en défaut de justifier que cette rémunération nettement supérieure à celle d’un employé régi par la convention collective, ne lui a pas été versée, compte tenu du temps nécessaire à l’accomplissement des fonctions et qu’elle n’était pas la contrepartie d’un véritable pouvoir de direction effectif ou dont la nature des tâches ait comporté une autorité bien définie, une large indépendance dans l’organisation du travail et une large liberté des horaires de travail, notamment l’absence de contraintes dans les horaires.

Concernant encore la nature du pouvoir et des tâches de A, il appert des pièces dont la Cour a eu égard que :

A a été engagé le 16 mars 2000 en qualité de « kaufmännischer Angestellter in der Abteilung Privatkunden », et le contrat de travail prévoit qu’il peut porter le titre de « Handlungsbevollmächtigter ».

A partir du 18 décembre 2008, le requérant a exercé les fonctions de « Relationshipmanager » dans le groupe « Wealth management ». Le titre de « Prokurist » lui a été conféré le 1er avril 2010. En cette qualité, le requérant s’est vu attribuer le pouvoir d’engager la banque dans son domaine d’activité avec la signature conjointe d’un autre collaborateur détenteur d’un pouvoir de signature.

La partie défenderesse verse une description de fonctions (« Stellenbeschreibung ») établie le 1er octobre 2010, qui définit les responsabilités d’un « Relationshipmanager » comme suit :

« Der (Senior) Relationshipmanager ist verantwortlich für die Bedarfserkennung und abschlussorientierte Beratung und Betreuung von Wealth Management Kunden im Sinne eines ganzheitlichen und individuellen Betreuungsansatzes. Er ist zuständig für die Akquisition und Betreuung von Zielkunden des Standorts. Die Beratung und Betreuung erfolgt unter Berücksichtigung spezieller Kundenbedürfnisse und betriebswirtschaftlicher Erfordernisse der Bank. Er übernimmt Ergebnis- und Bestandsverantwortung in seinem Zuständigkeitsbereich. Dabei orientiert er sich an den strategischen Zielen und geschäftspolitischen Schwerpunkten der Bank. »

Le certificat de travail ( « Arbeitszeugnis » ) émis le 26 mars 2013 par la partie défenderesse indique notamment ce qui suit :

« Herr A wurde stets als Privatkundenberater, später Senior Relationship Manager im Wealth Management, der Betreuung von gehobenem Wealth Management Klientel eingesetzt.

In dieser Funktion war Herr A für die selbständige Betreuung und Beratung von Kunden in den Bereichen Vermögensberatung (…) zuständig. Sein Portfolio umfasste lange Zeit ca. 300 Kunden, die sich auf die Vermögensberatung und die Vermögensverwaltung aufteilten. Zu seinen Aufgaben gehörte ebenso die Akquisition von Neukunden und Erhöhung des Betreuungsvolumens bei bestehenden Kundenverbindungen.

Darüber hinaus war Herr A eigenverantwortlich zuständig für die Erreichung der qualitativen und quantitativen Ziele im zugeordnetetn Kundenstamm (…).»

Les différentes descriptions de poste versées aux débats établissent encore l’indépendance dans l’organisation de son travail par le salarié en ce qu’elles prévoient dans son chef :

  • «Selbstständige Betreuung und Beratung von Kunden in den Bereichen Assets-under-Management, Aktien, Renten, Derivaten, Fonds, Devisen, Festgeldern und Edelmetallen, Versicherungen;
  • Eigenverantwortliches Arbeiten zur Erreichung der quantitativen (Ertrag absolut/Ertrag pro Volumen/Vermittlungen an die Vermögensverwaltungen) und qualitativen Ziele;
  • Übernahme von Ergebnis- und Bestandsverantwortung in seinem Zuständigkeitsbereich;
  • Primäre Verantwortung für die Gesamtkundenbeziehung mit dem Ziel einer hohen sowie langjährigen Kundenzufriedenheit und –loyalität;
  • Eigenständige Verantwortung im Rahmen der Bedarfserkennung und der abschlussorientierten ganzheitlichen und individuellen Kundenbetreuung sowie der Akquisition von Potenzialkunden. »

C’est partant encore à bon droit que le tribunal du travail a retenu que :

« La description des fonctions du requérant suivant laquelle il bénéficiait d’une large indépendance dans la recherche de clients et avait les pouvoirs de conseiller et d’encadrer ceux-ci de façon autonome dans la gestion de leur portefeuille, permet de conclure qu’un pouvoir de direction et une autorité bien définie lui étaient reconnus.

La partie requérante n’apporte pas d’éléments de nature à établir que la description des fonctions du requérant reprise dans la « Stellenbeschreibung » et le « certificat de travail » précités ne correspondaient pas à la réalité. »

L’argument du requérant, suivant lequel il n’avait pas d’autres salariés sous ses ordres n’est pas pertinent, dans la mesure où il a été décidé « qu’un salarié peut être en application de l’article susvisé du code du travail cadre supérieur, sans qu’il dirige une équipe déterminée. » ( cf. Cour d’appel, 19 avril 2007, no 30833 du rôle.

Par ailleurs, le fait que le requérant était évalué tous les ans par son supérieur hiérarchique n’est, en tant que tel, pas en contradiction avec l’existence d’un pouvoir de direction effectif et d’une autorité bien définie dans son chef. Il en est de même de l’exigence d’une double signature dans le cadre des engagements pris par le requérant au nom de la banque, cette exigence relevant du domaine des règles de contrôle interne au sein de la banque.

Concernant l’horaire de travail de A, il résulte des pièces soumises à la Cour, que ce dernier bénéficiait en théorie d’une large liberté de travail et de l’absence de contrainte dans les horaires, puisqu’il est expressément prévu au point 6 du contrat de travail du salarié, qu’en sa qualité de salarié non conventionné, il est exclu du système de l’horaire mobile et en vertu du dernier alinéa du contrat de travail, que l’évaluation des heures supplémentaires était compensée par l’allocation de primes annuelles pour les salariés non conventionnés (« Mit der aussertariflichen Vergütung sind die tariflichen Sozialzulagen und gegebenfalls Mehrarbeit abgegolten »).

A ne verse par ailleurs pas de pièces selon lesquelless ses heures de travail dans les locaux de la banque et lors de ses voyages à l’étranger auraient été relevées, ni ne prouve qu’il a été rémunéré pour des heures supplémentaires prestées. Il ne précise pas non plus, comme l’a à juste titre rappelé le tribunal du travail, qu’il a dû rendre compte de la gestion de son temps de travail au cours de ses déplacements professionnels, ni qu’il était tenu de travailler suivant un horaire fixe, de sorte que dans la pratique, sa liberté d’exécution dans le temps de son travail est également établie.

C’est partant encore à bon escient que le tribunal du travail a décidé que la condition tenant à l’existence d’une large liberté des horaires du travail et à l’absence de contraintes dans les horaires est établie au vu des éléments du dossier.

Le jugement est partant à confirmer en ce qu’il a retenu que A avait la qualité de cadre supérieur, de sorte que la convention collective pour les salariés de banque ne lui était pas applicable et par voie de conséquence, que les montants réclamés sur base de la susdite convention collective n’étaient pas dus.

L’offre de preuve formulée par la B SA en vue de prouver la qualité de cadre supérieur de A ainsi que sa demande reconventionnelle en répétition de l’indu sur base des articles 1235 et 1376 du code civil sont, au vu de la présente décision de confirmation du jugement entrepris, à rejeter  pour être respectivement superfétatoires et sans objet.

L’offre de preuve formulée par A tendant à prouver qu’il n’avait pas la qualité de cadre supérieur est à rejeter en raison de son imprécision et de sa généralité en présence des pièces établissant le contraire. (C.S.J., 28/04/2016, n°41270 du rôle)