Attentat à la pudeur – faute grave (oui) – prescription (non) – présomption d’innocence (non).

« Il y a d’abord lieu d’examiner si le délai d’un mois prévu à l’article L.124-10.(6) alinéa 1) a été respecté.

Le salarié conteste que l’employeur n’ait eu connaissance des faits à l’appui du licenciement qu’en date du 10 juin 2014, au motif qu’il résulterait du procès-verbal de l’entretien du 13 mars 2014 que les faits repris dans la lettre de licenciement avaient déjà été portés à sa connaissance au mois de mars.

La connaissance par l’employeur s’entend d’une « connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits » (Cass. soc. fr., 29 sept. 2010, n° 09-42.459 : JurisData n° 2010-017113).

Un employeur ne saurait en effet se fier à des apparences pour licencier sans préavis son salarié, sous peine de se voir reprocher d’avoir agi avec une légèreté blâmable. »

(…)

« La suspension du droit de licencier, même pour motif grave, pendant la période d’incapacité de travail du salarié a nécessairement pour corollaire que ce délai est suspendu pendant la durée de l’incapacité de travail pour reprendre cours le jour suivant la fin de l’interdiction de licencier édictée par l’article L.121-6.(3), soit en l’espèce le 24 juillet 2014. »

(…)

« En effet, « le droit à la présomption d’innocence qui interdit de présenter publiquement une personne poursuivie pénalement comme coupable, avant condamnation, d’une infraction pénale n’a pas pour effet d’interdire à un employeur de se prévaloir de faits dont il a régulièrement eu connaissance au cours d’une procédure pénale à l’appui d’un licenciement à l’encontre d’un salarié qui n’a pas été poursuivi pénalement. Par ailleurs, la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale, de sorte que l’exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire ne méconnaît pas le principe de la présomption d’innocence lorsque l’employeur prononce une sanction pour des faits identiques à ceux visés par la procédure pénale » (cf. Cass. soc. fr., 13 déc. 2017, n° 16-17.193 : JurisData n° 2017-025677 ). »

***

Aux services de la sàrl S1 depuis le 24 septembre 2001 en qualité de chauffeur de bus, A a été licencié avec effet immédiat par lettre recommandée du 20 août 2014 pour des faits qualifiés d’attentat à la pudeur commis en date du 14 février 2014.

Par requête du 19 mai 2015, A a fait convoquer son ancien employeur devant le tribunal de travail à Luxembourg aux fins de le voir condamner à lui payer, suite à son licenciement qu’il qualifia d’abusif, les montants plus amplement spécifiés dans sa requête.

Par jugement du 2 novembre 2016, le tribunal du travail a déclaré le licenciement abusif pour imprécision du motif de licenciement indiqué et a condamné la sàrl S1 à payer à A le montant de 20.634,42 euros à titre d’indemnité compensatoire de préavis, le montant de 6.878,14 euros à titre d’indemnité de départ ainsi que le montant 5.000 euros à titre d’indemnisation de son préjudice moral.

Le tribunal a retenu :

« Etant donné que la partie défenderesse a omis d’indiquer dans la lettre de licenciement la date à laquelle elle a été informée du fait que le requérant se serait rendu coupable d’attentat à la pudeur à l’encontre d’une des élèves du Lycée de X, le tribunal n’est pas en mesure de vérifier si l’article L.124-10(6) du code du travail a été respecté » et que « la partie défenderesse n’a partant au vu des considérations qui précèdent pas indiqué le motif du licenciement avec précision dans la lettre de congédiement ».

Le tribunal a cependant déclaré non fondées ses demandes en paiement d’une indemnisation pour préjudice matériel et sa demande en allocation d’une indemnité pour irrégularité formelle.

Il a encore condamné la sàrl S1 à payer à A une indemnité de procédure de 1.000 euros et a rejeté la demande de l’employeur formulée sur base de l’article 240 du NCPC.

De ce jugement, la sàrl S1 a régulièrement relevé appel par exploit d’huissier du 6 décembre 2016.

Par réformation du jugement entrepris, l’appelante demande à la Cour de retenir que le licenciement est intervenu dans le délai d’un mois à partir du moment où elle a eu connaissance des faits reprochés au salarié et que le licenciement est justifié sur base des faits graves qui sont établis.

La sàrl S1 conclut par conséquent à être déchargée du paiement d’une indemnité compensatoire de préavis et d’une indemnité de départ. Elle demande encore à la Cour de retenir que le préjudice moral n’est pas justifié sinon au moins de le réduire à de plus justes proportions.

Finalement, l’employeur conclut encore à l’allocation d’une indemnité de procédure de 2.500 euros.

A interjette appel incident et, par réformation de la décision entreprise, demande à voir condamner la sàrl S1 à lui payer le montant de 23.949,53 euros à titre d’indemnisation du préjudice matériel subi par suite de son licenciement. Pour le surplus, il conclut à la confirmation du jugement entrepris.

Pour le cas où le licenciement était déclaré régulier, il interjette également appel incident et demande à voir condamner la sàrl S1 à lui payer une indemnité pour irrégularité formelle du licenciement de 3.439,07 euros.

Il conclut finalement à l’octroi d’une indemnité de procédure de 3.000 euros et au rejet de la demande de l’employeur sur base de l’article 240 du NCPC.

Quant au délai prévu à l’article L.124-10.(6) alinéa 1 du code du travail et la précision des motifs du licenciement:

A l’appui de son appel, la sàrl S1 explique qu’elle a été informée en date du 14 février 2014 par une éducatrice du Lycée de X qu’un chauffeur de sa société se rendait coupable d’attentat à la pudeur à l’encontre d’une des élèves du lycée.

Lors de l’audition de l’élève par la police de Y, l’élève aurait confirmé des faits de harcèlement et d’attentant à la pudeur.

Le salarié ayant nié les faits lors de l’entretien préalable du 13 mars 2014 et faute d’avoir plus de précisions, elle lui aurait fait parvenir le courrier suivant :

« Suite à l’entretien préalable du jeudi 13 mars passé, je tiens à vous informer que notre société n’est actuellement pas en mesure de prendre une décision à votre égard en raison du fait que nous ne disposons pas du procès-verbal qui a été dressé par la police de Y suite aux faits qui ont fait l’objet de l’entretien préalable.

Notre société se réserve dès lors formellement le droit de prendre toute mesure à votre égard pour le cas où le procès-verbal ci-avant cité dégagerait des faits graves à votre encontre, faits incompatibles avec l’exercice de la profession de chauffeur de bus fréquenté par des élèves. »

Ce ne serait qu’en date du 10 juin 2014 que le procès-verbal de la police de Y aurait été transmis par le Ministère public à son mandataire. Ce ne serait donc qu’à partir de cette date qu’elle aurait eu connaissance avec précision des faits reprochés au salarié et aurait pu juger de leur gravité et de leur compatibilité avec l’exercice de la profession de chauffeur.

Comme A aurait cependant été en incapacité de travail du 28 avril 2014 au 23 juillet 2014, elle n’avait cependant pas été autorisée à procéder à une résiliation du contrat de travail.

Le délai d’un mois prévu à l’article L.124-10(6) du Code du travail aurait donc seulement commencé à courir à partir du 24 juillet 2014.

Le délai pour invoquer la faute grave aurait encore été suspendu par la plainte de la mineure.

La convocation à un entretien préalable du 12 août 2014 pour le 19 août 2014 aurait donc été faite dans le délai légal.

A conclut à la confirmation du jugement au motif que l’employeur aurait manqué à son obligation de précision en omettant d’indiquer dans la lettre de licenciement la date à laquelle il a eu connaissance du procès-verbal. Les juges ne pourraient donc, à la seule analyse de la lettre de licenciement, constater si le délai d’un mois prévu à l’article L.124-10(6) avait été respecté.

Le motif lié à son prétendu état de santé mental serait également imprécis.

L’employeur ne pouvant suppléer ultérieurement aux lacunes contenues dans la lettre de licenciement, ce serait à bon droit que le licenciement aurait été déclaré abusif pour imprécision des motifs.

A titre subsidiaire, le salarié soutient que les motifs n’ont pas été indiqués dans le délai d’un mois de leur connaissance.

En effet, la sàrl S1 aurait été contacté au mois de mars 2014 par le Lycée de X et le procès-verbal de police n’aurait pas apporté de fait nouveau. Il conteste, par ailleurs, que la sàrl S1 n’a eu connaissance du procès-verbal qu’en date du 10 juin 2014. Il résulterait du procès-verbal de l’entretien préalable du 13 mars 2014 que l’employeur avait déjà à cette date connaissance des faits repris dans la lettre de licenciement.

Il y a d’abord lieu d’examiner si le délai d’un mois prévu à l’article L.124-10.(6) alinéa 1) a été respecté.

Le salarié conteste que l’employeur n’ait eu connaissance des faits à l’appui du licenciement qu’en date du 10 juin 2014, au motif qu’il résulterait du procès-verbal de l’entretien du 13 mars 2014 que les faits repris dans la lettre de licenciement avaient déjà été portés à sa connaissance au mois de mars.

La connaissance par l’employeur s’entend d’une « connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits » (Cass. soc. fr., 29 sept. 2010, n° 09-42.459 : JurisData n° 2010-017113).

Un employeur ne saurait en effet se fier à des apparences pour licencier sans préavis son salarié, sous peine de se voir reprocher d’avoir agi avec une légèreté blâmable.

Il est vrai qu’en l’espèce, l’employeur a été informé en date du 14 février 2014 par une éducatrice du Lycée de X qu’un chauffeur de la société se serait rendu coupable d’attentat à la pudeur à l’encontre d’une de leurs élèves, à savoir C.

Il est encore exact que la jeune fille concernée, accompagnée de son père a été auditionnée par la police le 25 février 2014 qui a dressé un procès-verbal pour attentat à la pudeur et stalking.

Si l’employeur a fait convoquer par la suite le salarié à un entretien pour le 13 mars 2014 au cours duquel il a confronté ce dernier avec les accusations contre sa personne telles qu’il en avait été informé par l’éducatrice, tout en lui indiquant que ce serait déjà le deuxième incident de ce genre, « ähnlicher Vorfall », avec des enfants qui lui avait été signalé endéans un an, l’employeur avait à ce moment là seulement connaissance des dires lui rapportés par l’éducatrice du Lycée. En effet,

la police, tout en lui indiquant qu’un procès-verbal serait dressé, refusait de lui donner de plus amples détails, tel que cela résulte de l’attestation de T1 et du procès-verbal de la réunion du 13 mars 2014.

La Cour en déduit que l’ampleur et la nature exacte des faits reprochés à A, nécessaires pour permettre à l’employeur d’apprécier si le comportement du salarié est de nature à justifier la sanction extrême d’un licenciement, n’ont été portées à la connaissance de la sàrl S1 que par la communication du procès-verbal no 56/2014 du 14 février 2014 de la police de Y.

Dans sa lettre de licenciement l’employeur précise qu’il n’avait pas reçu copie dudit procès-verbal avant le 28 avril 2014, première journée de maladie d’A, dont l’incapacité de travail a été prolongée sans interruption jusqu’au 23 juillet 2014.

Cette affirmation est corroborée par les éléments du dossier.

Il résulte en effet du tampon d’entrée figurant sur la copie du procès-verbal que celui-ci n’est entré aux services du Parquet de Luxembourg qu’en date du 25 avril 2014. Il est donc plus qu’improbable que le procès-verbal eut déjà été communiqué à l’employeur, le lendemain, respectivement le surlendemain de son entrée au Parquet de Luxembourg.

Il résulte, par contre, des informations du service des photocopies auprès du Parquet que le dossier est seulement entré dans ce service le 10 juin 2014, date à laquelle une copie a été faite pour le mandataire de l’employeur. Il en résulte encore que le dossier est sorti du service le même jour.

L’employeur ne pouvait donc disposer d’une copie du procès-verbal no 56/2014 du 14 février 2014 avant le 10 juin 2014, partant à un moment où le salarié se trouvait déjà en incapacité de travail justifiée.

La suspension du droit de licencier, même pour motif grave, pendant la période d’incapacité de travail du salarié a nécessairement pour corollaire que ce délai est suspendu pendant la durée de l’incapacité de travail pour reprendre cours le jour suivant la fin de l’interdiction de licencier édictée par l’article L.121-6.(3), soit en l’espèce le 24 juillet 2014.

Il en suit qu’en envoyant la lettre de convocation à l’entretien préalable pour le 19 août 2014 au salarié par voie recommandée le 13 août 2014 et en la lui remettant le 14 août 2014 en mains propres, l’employeur a respecté le délai d’un mois prévu à l’article L.124.10 (6) du Code du travail.

La Cour ajoute que même dans l’hypothèse de la remise du procès-verbal dès le 26 ou 27 avril 2014, le délai d’un mois aurait encore été respecté en raison de la suspension du délai pendant l’incapacité de travail d’A.

La Cour relève pour le surplus que la précision des motifs invoqués est à examiner par rapport aux dispositions retenues par l’article 124-10.(3) du Code du travail suivant lequel la lettre de licenciement doit énoncer avec précision le ou les faits reprochés au salarié ainsi que les circonstances qui sont de nature à leur attribuer le caractère d’un motif grave.

La lettre de licenciement d’A est libellée comme suit :

« Monsieur,

En date du 12 août 2014 nous vous avons convoqué par courrier recommandé à un entretien préalabe fixé au mardi 19 août 2014. En date du 14 août 2014, nous vous avons remis en présence d’un témoin, une copie de cette convocation et vous avez accusé par votre signature la réception de ce courrier.

Compte tenu de votre absence lors de l’entretien préalable précité, nous vous informons par la présente que notre société est amenée à vous licencier avec effet immédiat pour motif grave.

Les motifs à l’appui de la présente résiliation avec effet immédiat sont les suivants :

En date du 14 février 2014, notre société a été informée par une dame B, éducatrice au Lycée de X, qu’un chauffeur se rendrait coupable d’attentat à la pudeur à l’encontre d’une de leurs élèves à savoir C.

La demoiselle C a été entendue par les agents de la brigade de Y en

présence de son père en date du 25 février 2014 et a fait la déclaration

suivante :

« Ich bin Schülerin im Lyzeum in X und Besuche die Klasse 7e 01. Seit dem ersten Schultrimester dieses Jahres habe ich ein Problem mit einem Busfahrer. Das erste Mal dass ich in Kontakt mit dem Busfahrer kam, war am Busbahnhof bei der Schule in X, als wir auf unseren Bus warteten. Ich nehme immer den XXer Bus. Ich weiss die Busnummer nicht auswendig, sie beginnt mit einer

Ich stand dort mit meinen Freundinnen D. sowie I. E.

Ein Mann, der Busfahrer, kam zum Bus um diesen aufzuschliessen. Danach kam er zu uns und fragte mich wie ich heisse. Ich sagte ihm, ich würde F heissen.

An diesem Tag wollte ich den ZZer Bus nehmen, und nicht den XXer. Er fragt mich, warum ich mit diesem Bus fahren würde, und nicht mit dem in Richtung XX.

Er sagte danach zu mir, ich solle mit seinem Bus mitfahren, er würde mich auch in YY absetzen.

Eine Freundin sagte ihm zuvor, dass ich in YY aussteigen würde. Wenn ich in YY aussteige, warte ich auf der Bushaltestelle, bis er fortgefahren ist, damit er denkt ich würde noch einen anderen Bus nehmen. Wenn dieser Busfahrer mich anschaut, tut er dies ganz intensiv und schaut mich von oben bis unten an. Ich mag es nicht, wenn er mich so anschaut, ich fühle mich dann unwohl und habe Angst, dass er mich mitnehmen könnte wenn ich alleine im Bus bin.

Ich frage immer eine Freundin um mit mir zusammen in den Bus zu steigen um nicht alleine zu sein.

Irgendwann im zweiten Schultrimester wartete der Bus wieder am Busbahnhof in X bei der Schule. Als ich mit Freunden in den Bus stieg und wir uns setzten, kam der Fahrer in den Bus und schaltete die Musik an. Er schaltete auf einen portugiesischen Sender, schaute mich an und sagte auf Deutsch zu mir: „Das ist nur für dich“.

Der Mann spricht etwas komisch. Er spricht eine Mischung aus Deutsch und Luxemburgisch. Es klingt so, als wäre er weder Luxemburger, noch Deutscher, sondern als hätte er diese Sprache gelernt.

Meine Freunde fragten ihn, nach dem Lied, ob er einen anderen Sender nehmen könne. Er sagte Nein.

Ich sagte ihm dann, er solle den Sender wechseln, was er dann sofort tat.

Das letzte Mal, als er mich belästigte, war vorletzte Woche. Ich stand auf der Bushaltestelle und wartete. Irgendwann spürte ich wie ich am Hintern angefasst wurde und wie sofort danach mein Schulranzen angehoben wurde.

Meine Freundinnen E und G waren zu diesem Moment bei mir und standen mir gegenüber. Sie sahen wie er zu mir kam.

Nachdem er mich angefasst hatte, ging ich einen Schritt nach vorne und drehte mich sofort um und sah, dass es wieder der Busfahrer war. Er ging dann in den Bus.

Ich weiss nicht wie der Fahrer heisst. Er ist etwas grösser als ich und schlank. Er sieht als aus und trägt immer eine Baseballkappe von blau, roter Farbe. Auf der Kappe ist ein rotes Zeichen. Ich würde sagen er wäre zwischen 40 und 50 Jahre alt. Er trägt oft ein Hemd mit Logo von S1.

Er trägt weder Brille noch hat er einen Bart.

Seine Haut auf den Wangen sieht eingedrückt aus. Es ist der Mann den Sie mir auf dem Foto zeigen.“

Concernant votre identité, il ne peut y avoir de doute ni de confusion alors que la fille vous a reconnu sur la photo qui lui a été montrée.

Les faits qu’elle vous reproche constituent des faits pénaux qualifiés notamment d’attentat à la pudeur.

C’est faits sont confirmés, tel que cela résulte du procès-verbal, par D et une certaine E.

Même si dans le cadre de votre interrogatoire par la police vous avez contesté les faits, ceux-ci sont incontestablement prouvés par l’intermédiaire non seulement de la plaignante mais également des deux témoins.

Une société comme la nôtre ne peut se permettre d’avoir dans ses services des conducteurs qui se rendent coupables de faits d’une telle gravité.

Ces faits mettent en cause l’honorabilité et la réputation de notre société, honorabilité et réputation qui doivent rester intactes pour éviter toute mesure de rétorsion de l’Etat comme par exemple retrait de l’autorisation de transport d’élèves.

2) Suite à un entretien préalable qui a eu lieu en date du 13 mars 2014, je vous ai fait le courrier suivant :

« Suite à l’entretien préalable du jeudi 13 mars passé, je tiens à vous informer que notre société n’est actuellement pas en mesure de prendre une décision à votre égard en raison du fait que nous ne disposons pas du procès-verbal qui a été dressé par la police de Y suite aux faits qui ont fait l’objet de l’entretien préalable.

Notre société se réserve dès lors formellement le droit de prendre toute mesure à votre égard pour le cas où le procès-verbal ci-avant cité dégagerait des faits graves à votre encontre, faits incompatibles avec l’exercice de la profession de chauffeur de bus fréquenté par des élèves. »

Comme vous étiez déclaré malade du 28 avril 2014 au 23 juillet 2014 et comme notre société n’avait pas disposé jusqu’au 28 avril 2014 du procès-verbal, il ne nous était pas possible de prendre une quelconque mesure à votre encontre jusqu’à cette date.

Comme entretemps notre société est en possession du procès-verbal qui contient les faits graves ci-avant relevés et suite à l’entretien préalable, nous résilions par la présente le contrat de travail avec effet immédiat pour motif grave.

A titre complémentaire, nous vous signalons par ailleurs que les déclarations de maladie du 28 avril 2014 au 23 juillet 2014 émanaient tous d’un psychiatre ce qui laisse à conclure que votre état mental n’est pas intacte et qu’il ne nous est pas possible de vous laisser conduire un bus au vu de votre état psychique.

Ce fait est invoqué à titre complémentaire.

C’est pour toutes ces raisons que votre contrat de travail est résilié avec effet immédiat pour les motifs graves ci-avant invoqués sur base de l’article L.124-10 du code du travail. (…). »

La Cour estime que ce faisant la sàrl S1 a énoncé les motifs du licenciement avec suffisamment de précision, dès lors que les éléments indiqués permettent aussi bien le contrôle des juges qu’ils permettent au salarié de vérifier le bien-fondé des motifs invoqués et de rapporter le cas échéant la preuve de leur fausseté.

Quant au bien-fondé du licenciement :

La sàrl S1 soutient que les faits reprochés à A sont établis par les déclarations précises et cohérentes de C reprises au procès-verbal no 56/2014 du 14 février 2014 de la Brigade de Y et confirmées par les déclarations de D et de E.

Par ailleurs, le Ministère Public aurait adressé un avertissement à A en date du 3 juillet 2014.

Pour autant que de besoin, l’employeur formule une offre de preuve testimoniale et demande à entendre l’élève concernée et, subsidiairement, une deuxième offre de preuve tendant à entendre le père de l’élève qui était présent lors de l’audition de sa fille par la police.

A conteste avoir commis les faits lui reprochés.

Selon le salarié, le procès-verbal ne rapporte pas la preuve de ces reproches étant donné que les personnes entendues par la police n’ont pas déposé sous la foi du serment. A donne encore à considérer qu’il n’a fait l’objet d’aucune poursuite.

L’avertissement du Parquet ne rapporterait pas non plus la preuve des faits lui reprochés. Il disposerait de la présomption d’innocence conformément à l’article 6 alinéa 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Les offres de preuve formulées par l’employeur seraient à rejeter pour violer ses droits de défense. En effet, trois ans après les faits, il serait dans l’impossibilité de faire entendre des témoins alors qu’il ne se rappellerait plus le nom des chauffeurs présents ni ne pourrait retrouver leurs coordonnées.

En tout état de cause, l’offre de preuve tendant à faire entendre le père de l’élève serait à rejeter alors que le témoin proposé n’a pas assisté personnellement aux prétendus faits.

Il est constant en cause qu’en date du 3 juillet 2014, le substitut du Parquet de Luxembourg en charge du dossier a adressé à A un avertissement contenant un rappel de la loi quant à l’infraction d’attentat à la pudeur commis sur la personne d’un enfant âgé de moins de 16 ans, et rendant le salarié attentif au fait qu’au cas où il devait commettre une nouvelle infraction de ce genre, les faits du nouveau dossier ainsi que ceux du dossier litigieux feraient l’objet d’une citation devant le tribunal répressif compétent sans autre avertissement.

Contrairement à l’avis du salarié, le principe de la présomption d’innocence n’est pas de nature à faire obstacle à un licenciement fondé sur des faits n’ayant donné lieu à aucune condamnation du salarié.

En effet, « le droit à la présomption d’innocence qui interdit de présenter publiquement une personne poursuivie pénalement comme coupable, avant condamnation, d’une infraction pénale n’a pas pour effet d’interdire à un employeur de se prévaloir de faits dont il a régulièrement eu connaissance au cours d’une procédure pénale à l’appui d’un licenciement à l’encontre d’un salarié qui n’a pas été poursuivi pénalement. Par ailleurs, la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale, de sorte que l’exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire ne méconnaît pas le principe de la présomption d’innocence lorsque l’employeur prononce une sanction pour des faits identiques à ceux visés par la procédure pénale » (cf. Cass. soc. fr., 13 déc. 2017, n° 16-17.193 : JurisData n° 2017-025677 ).

En l’espèce, il résulte des éléments objectifs du dossier qu’en date du 14 février 2014 l’employeur a été contacté par une éducatrice du Lycée de X alors qu’un chauffeur de bus de la ligne 453 harcelait une des élèves du lycée.

La sàrl S1 a alors continué cette information à la police par voie de courriel qui a pris contact avec l’éducatrice en question. Suite aux informations reçues par l’éducatrice, la police a entendu C ainsi que deux autres personnes qui ont assisté chacune pour partie aux faits dont fait état l’employeur et qui ont confirmé les faits de harcèlement et d’attouchement volontaire.

S’il est vrai que les mineures n’ont pas confirmé leur version sous la foi du serment, il résulte cependant des éléments du dossier que parallèlement à l’instruction de l’affaire par la police, la sàrl S1, qui avait déjà reçu une plainte d’une institutrice de Z au cours de l’année 2013 suivant laquelle A aurait pris des photos d’élèves sans autorisation, incident pour lequel les versions du salarié ont changé au fur et à mesure, a décidé de convoquer le salarié à un entretien pour le 13

mars 2014 pour l’entendre sur les reproches formulées par l’éducatrice.

Suivant le procès-verbal de cet entretien, A, après avoir contesté le fait d’avoir harcelé l’élève en question, a expliqué que la fille le provoquerait. Il a affirmé que ce serait la fille qui se serait adressée à lui en lui demandant à deux reprises s’il était d’origine portugaise. Il ne lui aurait jamais adressé la parole auparavant.

A a également affirmé n’avoir jamais touché la fille tout en indiquant par la suite que la fille a reculé, de sorte qu’il a éventuellement involontairement touché ses fesses. Le salarié a encore ajouté qu’on l’avait informé que la fille, qui raconterait n’importe quoi, faisait partie d’une famille de gitans.

Il résulte, en outre du procès-verbal no 56/2014 du 14 février 2014 de la police grand-ducale, circonscription régionale X, Commissariat de Proximité Y, que l’éducatrice B a confirmé à l’inspecteur H que l’élève en question, à savoir C, l’avait informé elle-même, ainsi que sa régente du fait que le chauffeur de bus de la ligne 453 la lorgnait avec ténacité, qu’il s’adressait à elle pendant le trajet, qu’il mettait de la musique romantique en lui disant que c’était spécialement pour elle, et qu’il l’avait touchée aux fesses.

Lors de son audition par la police, le salarié s’est contredit à plusieurs reprises dans ses déclarations. Ainsi, l’inspecteur H a relevé qu’au début de son audition, A avait affirmé qu’il n’avait parlé à aucune fille avant de dire par la suite que « ce jour-là » il n’avait pas parlé à C.

L’inspecteur a constaté, en outre, qu’au moment où A s’est rendu compte de ses propos contradictoires, il est devenu agressif.

L’inspecteur a également relevé dans le procès-verbal qu’A répondait évasivement aux questions lui posées, mais qu’il avait remarqué d’une façon spontanée : « Was ist schlimm daran, wenn ich die Kinder frage wie es ihnen geht ? Ich betatsche niemanden, habe keine Hintergedanken… ». Questionné sur le sens de sa remarque, A a encore évité de répondre précisément.

Finalement, l’inspecteur a noté que si A gardait un contact visuel avec lui pendant son audition, il regardait néanmoins à chaque fois le sol dès qu’il devait prendre position par rapport à un reproche concret.

A la plainte de l’éducatrice et au comportement contradictoire et évasif du salarié face aux reproches lui adressés tant lors de l’entretien du 13 mars 2014 que devant les agents verbalisateurs, s’ajoute le fait que le salarié a été en incapacité de travail prolongée suite à des certificats d’incapacité de travail établis par un psychiatre.

Ces faits sont à eux seuls suffisamment graves pour faire perdre la confiance de l’employeur en son salarié nonobstant son ancienneté de treize ans et rendre immédiatement et définitivement impossible le maintien des relations de travail entre parties, alors qu’un chauffeur de bus, même s’il n’assure plus le transport scolaire, doit toujours garantir non seulement la sécurité de ses passagers, mais également leur bien-être, qu’il s’agisse de majeurs ou de mineurs qui peuvent

voyager seuls à bord.

Il devient dès lors surabondant d’admettre l’offre de preuve de l’employeur.

Par réformation du jugement entrepris, le licenciement d’A est donc à déclarer justifié. Il en suit que ses demandes en paiement d’une indemnité compensatoire de préavis et de départ, ainsi qu’en paiement de dommages et intérêts du chef de préjudice matériel et moral subis pour licenciement abusif sont à déclarer non fondées. (C.S.J., 28/06/2018, 44349).