Absentéisme habituel et harcèlement moral
« Dans la mesure où il est cependant admis que le licenciement motivé par l’absentéisme habituel pour raison de santé n’est pas justifié si la maladie ayant causé les absences anormalement longues ou fréquentes a pour origine l’activité professionnelle du salarié, il y a lieu d’analyser les reproches d’harcèlement moral faits par A à son ancien employeur. »
L’appelant, qui retrace sa carrière au sein du B depuis l’année 1989, estime que les faits de harcèlement résultent non seulement des pièces soumises aux juridictions du travail, mais également des procès-verbaux d’audition des témoins entendus en première instance.
Il maintient, comme en première instance, d’une part, que les arrêts de maladie qui lui ont été délivrés, l’ont été en raison de la détresse tant psychologique que physique dans laquelle il était plongé, en raison des faits de harcèlement moral répétés dont il a été victime, harcèlement obsessionnel initié, d’après lui, par son supérieur hiérarchique, C, et non en raison de prétendus événements familiaux datant de plusieurs années.
Il soutient d’autre part, que l’employeur l’a privé des fonctions qu’il occupait au sein du B, pour les remplacer par des fonctions dégradantes qui auraient porté atteinte à sa dignité professionnelle, alors que ces fonctions étaient généralement confiées soit à du personnel d’un niveau inférieur, soit à des stagiaires engagés pour les périodes de vacances.
Il affirme en conséquence que l’attitude de B adoptée à son égard constitue manifestement une sanction déguisée et discriminatoire, notamment et plus précisément par le fait de l’avoir obligé :
– à scanner à longueur de journée des milliers de documents, factures, bons de commande, contrats fournisseurs, pointage d’heures supplémentaires et ce, sur une période de deux mois sans aucune autre tâche,
– à pratiquer un inventaire physique du matériel informatique (PC, écrans, souris, claviers, imprimantes et autres périphériques) de tous les collaborateurs du groupe B (…) sans l’adjonction d’un lecteur de code-barres, ce qui nécessita le relevé manuel de plus de 2550 éléments informatiques, avec la considération que chaque poste se composait au minimum de 6 références (HOSTNAME, PC, n° de série PC, n° de série écran, taille écran, n° de série souris, n° de série clavier), auxquelles il fallait ajouter tous les types et numéros de série des imprimantes hors et sur réseau (plus de 160), ainsi que tous les fax et scanners,
– une fois ce travail accompli, à pratiquer un inventaire du matériel informatique du parc agent configuration 3 et 4 (serveur), soit près de 64 agences réparties sur tout le territoire luxembourgeois.
Il en déduit que, depuis le mois d’août 2009 jusqu’à son licenciement, plus d’une année après, il s’est vu astreint à des tâches sans aucune importance et qui n’impliquaient, qui plus est, pas une désorganisation du service en raison de ses absences comme le prétend l’employeur, dès lors que les tâches lui confiées étaient habituellement confiées à des stagiaires estivants.
Il soutient ensuite que malgré ses courriers dénonçant ce harcèlement à l’employeur, ce dernier n’a rien entrepris, contrevenant par son inertie non seulement à l’article 1134 alinéa 3 du code civil mais également aux règles de protection prévues par le code du travail sur la sécurité et la santé au travail, plus précisément l’article L.311-1 et suivants du code du travail, en ne prenant pas les mesures ad hoc et notamment en refusant de faire droit à sa sollicitation concernant un changement de poste.
Il conclut qu’aucun témoin n’a démenti les faits de harcèlement.
Il sollicite de la Cour de s’inspirer de l’évolution jurisprudentielle française qui renverse la charge de la preuve en considérant qu’il appartient à l’employeur de prouver que les agissements dénoncés par le salarié ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et finalement de constater, par réformation du jugement déféré, qu’il existe en l’espèce de sérieux indices permettant de retenir qu’il a bien été victime d’un harcèlement moral tant par :
-le contenu des enquêtes,
-la dégradation des tâches lui attribuées par rapport aux tâches effectuées antérieurement,
-l’absence de réactions appropriées du département des ressources humaines.
L’intimée qui conteste, comme en première instance, tout acte d’harcèlement moral dans son chef, conclut à la confirmation du jugement entrepris.
L’intimée rappelle que la cause du licenciement réside dans l’absentéisme habituel du salarié depuis 2007, 2008, 2009 et 2010 qui, d’après elle, provient de la situation personnelle familiale du salarié, plus particulièrement de la maladie de son frère, du décès de son père et de son propre divorce et de la séparation de ses enfants.
L’intimée donne finalement une autre version de la position du salarié au sein de l’entreprise ainsi que des fonctions exercées par ce dernier.
Concernant tout d’abord le renversement de la charge de la preuve sollicité par A et dans la mesure où ce dernier n’a pas querellé le jugement avant dire droit rendu en date du 18 mai 2012 par le tribunal du travail, qui l’a admis à prouver par témoins les agissements de son employeur, qualifiés par lui d’harcèlement moral, tribunal du travail qui a partant retenu de façon définitive que la charge de la preuve du harcèlement moral incombe au salarié, A est actuellement malvenu de demander en instance d’appel qu’il soit opéré un renversement de la charge de la preuve dans le chef de l’employeur, conformément à la tendance actuelle de la jurisprudence française en la matière.
La Cour, qui fait sienne tant la relation complète des faits et rétroactes de l’affaire, que l’exposé exhaustif des principes jurisprudentiels en matière de harcèlement moral faits par le la juridiction de première instance, se limitera partant à analyser la réalité du harcèlement moral invoqué par le salarié pour justifier son absentéisme régulier et habituel et conclure au caractère abusif de son licenciement, sur base non seulement du contenu des déclarations des témoins entendus en première instance, mais également sur base des pièces soumises à son appréciation.
Concernant les déclarations des témoins entendus en première instance, la Cour ne peut que confirmer la décision du tribunal du travail qui a, à bon droit, retenu que A n’a pas réussi à établir les faits à la preuve desquels il a été admis par le jugement avant dire droit, à l’exception d’un seul fait concret, celui « qu’à partir d’un certain moment, que le requérant situe lui-même au 4 juillet 2009, il a dû effectuer une tâche qui ne lui plaisait pas, notamment l’inventaire physique du matériel informatique de tous les collaborateurs du groupe B en se rendant dans les différentes agences ».
Aucun des témoins entendus par les juges de première instance n’a en effet confirmé les faits précis de harcèlement détaillés dans l’offre de preuve de A, de sorte que, même s’ils n’ont pas été démentis, ils laissent toujours au stade actuel de l’appel d’être établis.
Concernant le changement de fonctions imposé à A par l’employeur, la Cour tient tout d’abord à relever qu’aucun des témoins entendu n’a confirmé le degré de responsabilité affirmé par le salarié, ni sa place plus élevée dans la hiérarchie, respectivement dans le cadre du management.
Ensuite, le témoin D a expliqué la raison légitime pour laquelle des tâches différentes ont été confiées à A suite à ses nombreuses absences de la manière suivante : « quant au travail confié à A en 2010 je dois dire qu’il était absent les trois années précédentes autour de 40% de son temps de travail. Il avait un travail important en ce sens qu’il devait gérer le parc informatique des agences. Il fallait réaffecter ce travail à quelqu’un d’autre et lui confier un travail pour lequel il n’y avait pas de deadline précise ».
Enfin, aucun des témoins entendus n’a confirmé le caractère dégradant ou de nature à porter atteinte à la dignité du salarié des nouvelles fonctions lui attribuées, ils se sont contentés de préciser qu’il s’agissait de travaux « rébarbatifs » qui devaient être faits et qui sont toujours actuellement effectués par d’autres salariés.
C’est également et de façon judicieuse que le tribunal a retenu « en plus le 4 juillet 2009, le requérant avait déjà été régulièrement absent pour des raisons de santé depuis deux ans et demi, de sorte que son absentéisme habituel pour raison de santé n’est certainement pas dû à la modification des tâches lui confiées à partir de cette date ».
A soutient encore que le harcèlement moral résulte des pièces soumises à l’appréciation de la Cour, plus précisément des nombreux emails adressés par lui à son employeur et qui sont restés sans réponse, respectivement sans réponse adéquate, ainsi que des certificats médicaux établis par les médecins.
Or, contrairement aux allégations de A, la Cour constate que l’employeur a réagi et pris des mesures suite aux courriels lui envoyés par le salarié, dans le but d’atténuer le mal-être de son salarié au sein de l’entreprise et a fait les démarches adéquates.
Il résulte en effet de la déposition du témoin D, directeur des ressources humaines au sein du B, que A était le salarié le plus écouté par le département des ressources humaines tant par lui-même, que par ses collaborateurs, que c’est également lui qui a mis A en relation avec l’Association pour la Santé au Travail dans le secteur Financier (ASTF) lorsqu’il a constaté que les problèmes de ce dernier dépassaient ses compétences, dès lors qu’ils étaient de nature médicale et ne relevaient plus du domaine des ressources humaines ; il conteste que le département des ressources humaines n’ait pas réagi aux différents incidents qui ont eu lieu entre le salarié et son supérieur hiérarchique et précise que des enquêtes étaient effectuées et des renseignements pris et il certifie que, s’il s’était avéré qu’un harcèlement moral eût existé, il aurait pris les conséquences qui s’imposaient.
Il résulte encore de la susdite déclaration que le département des ressources humaines a organisé en janvier 2009 une réunion en présence du salarié, de l’intervenant psycho-social auprès de l’ASTF, de E, son adjoint, pour justement permettre au salarié d’exprimer son vécu.
Le témoin précise encore, que suite à cette entrevue, il était d’avis que le salarié était victime de problèmes privés qu’il « apportait au travail ».
Le témoin déclare finalement qu’un des membres du département des ressources humaines assistait également à l’évaluation annuelle de A faite par son supérieur hiérarchique Monsieur F, toujours dans le but d’éviter que des problèmes relationnels surgissent et que A pouvait également se faire assister par une personne de son choix, sous-entendu que tel n’était pas le cas pour l’ensemble des salariés soumis à une évaluation annuelle.
Il confirme encore qu’il était en contact permanent avec le docteur G de l’ASFT.
La déclaration du témoin D est corroborée par les membres du personnel des ressources humaines entendus comme témoins en première instance.
Il s’en suit, qu’interpellé par A sur les faits de harcèlement, l’employeur a réagi et pris les mesures qui s’imposaient.
Quant aux certificats médicaux versés aux débats, la Cour relève qu’ils sont tous établis à la demande du salarié et ne retracent partant nullement des agissements auxquels les médecins auraient personnellement assisté.
Finalement et contrairement à ce que prétend le salarié, le docteur G, médecin auprès de l’ASTF, association dont B est membre, a confirmé au cours de son audition que A n’est pas venu de sa propre initiative, mais qu’il lui a été adressé par B déjà en 2007 dans la mesure où il avait des problèmes sur son lieu de travail ; il certifie ce qui suit : « au cours des entretiens que j’ai eus avec lui j’arrivais à la conclusion que ses problèmes sur son lieu de travail n’étaient pas à l’origine de son mal-être, mais que ce mal-être trouvait son origine dans des problèmes personnels sur lesquels je ne peux m’étendre, vu le secret professionnel par lequel je suis lié ».
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que A est resté en défaut d’établir avoir été victime d’un harcèlement moral de la part de son employeur, respectivement de ses supérieurs hiérarchiques.
Dans la mesure où dans les relations de travail, la présence du salarié sur son lieu de travail constitue la règle et l’absence du lieu de travail l’exception, la Cour relève que dans le cas d’espèce, l’absence de A sur son lieu de travail est devenue à partir de 2007 la règle et sa présence l’exception, de sorte que c’est de façon justifiée que l’employeur, qui ne pouvait plus compter sur une collaboration suffisamment régulière de A pour les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, a procédé à son licenciement avec préavis.
Concernant la désorganisation de l’entreprise induite de ces absences habituelles et contestée par le salarié, il échet de dire qu’elle est présumée dans le cas d’un absentéisme caractérisé de l’importance de celui de A.
Le jugement est partant à confirmer, certes pour des motifs partiellement différents, en ce qu’il a décidé que le licenciement intervenu à l’encontre de A est justifié. (C.S.J, 14/07/2016, n°40308 du rôle).