Absentéisme – certificat médical – présomption renversée (oui) – faits de harcèlement moral (oui) – licenciement abusif (oui)
Par application du principe selon lequel les conventions s’exécutent de bonne foi, conformément à l’article 1134 alinéa 3 du code civil, un employeur doit à l’évidence s’abstenir de tout harcèlement et de tout acte de violence envers ses salariés (article L.245-4(1) du code du travail), il ne peut pas non plus rester inactif lorsque ses salariés sont victimes d’actes dégradants commis par les collègues ou par des tiers, tant que ces salariés travaillent sous sa responsabilité. Informé d’actes de harcèlement ou d’une situation conflictuelle entre salariés, l’employeur doit prendre des mesures préventives en amont des comportements conflictuels et intervenir concrètement en gérant les attitudes ou les actes conflictuels. Parmi les obligations de l’employeur figure entre autres, l’obligation d’entendre la victime présumée et celle de mener une enquête interne.
La Cour rappelle que le motif du licenciement avec effet immédiat est en l’espèce l’absence injustifiée de la salariée depuis le 17 juillet 2015.
Se prévalant des avis de la CNS du 9 juin 2015 et du 6 juillet 2015 déclarant la salariée apte au travail, confirmés par ceux des trois médecins de contrôle, l’employeur a estimé avoir renversé la présomption de maladie attachée au certificat médical lui versé par la salariée en date du 30 juin 2015 et a considéré que les absences de la salariée qui a été déclarée apte au travail, mais qui ne s’est pas
présentée sur son lieu de travail pour reprendre son activité était en absence injustifiée, fait suffisamment grave pour justifier un licenciement sans préavis.
Si cette approche de l’employeur est légitime dans l’hypothèse d’une absence dont le caractère injustifié est avéré alors que l’obligation principale de la salariée est de se présenter au travail pour y travailler, il en va différemment lorsque la nature injustifiée de l’absence laisse d’être établie dès lors que la salariée prétend que la cause de son absentéisme réside dans un harcèlement moral qu’elle subit sur son lieu de travail.
Dans cette hypothèse, il incombe à la salariée d’en rapporter la preuve. En l’espèce, il résulte tant des rapports médicaux des 13 et 28 juillet 2015 établis par le médecin traitant de la salariée, le docteur B, médecin psychiatre, que des trois avis établis par les médecins de contrôle de l’employeur, que la salariée rencontrât des problèmes relationnels, conflictuels avec ses collègues de travail, sa /hiérarchie ou sa direction sur son lieu de travail, cause de sa dépression, partant de son absentéisme.
L’avis du docteur E du 16 juillet 2015 indique par ailleurs clairement « … comme les problèmes relationnels employeur-employé ne relèvent en soi pas d’une ITT pour raison médicale, une solution différente devra être trouvée… ».
Les susdits certificats des médecins de contrôle ont été portés à la connaissance de l’employeur dès lors que c’est lui qui a non seulement chargé les médecins de contrôle de vérifier l’aptitude ou non de sa salariée au travail, mais qui a pris en charge les honoraires afférents.
Or, l’employeur, formellement informé de ce problème conflictuel entre la salariée et sa hiérarchie, respectivement les collègues de travail, s’est contenté de la licencier avec effet immédiat pour absentéisme injustifié. Cependant, et par application du principe selon lequel les conventions s’exécutent de bonne foi, conformément à l’article 1134 alinéa 3 du code civil, un employeur doit à l’évidence s’abstenir de tout harcèlement et de tout acte de violence envers ses salariés (article L.245-4(1) du code du travail), il ne peut pas non plus rester inactif lorsque ses salariés sont victimes d’actes dégradants commis par les collègues ou par des tiers, tant que ces salariés travaillent sous sa responsabilité.
Informé d’actes de harcèlement ou d’une situation conflictuelle entre salariés, l’employeur doit prendre des mesures préventives en amont des comportements conflictuels et intervenir concrètement en gérant les attitudes ou les actes conflictuels.
Parmi les obligations de l’employeur figure entre autres, l’obligation d’entendre la victime présumée et celle de mener une enquête interne.
Il est faux d’affirmer comme le soutient l’employeur que ces obligations patronales n’existent que dans l’hypothèse d’un harcèlement moral avéré, ce qui d’après lui, n’était pas le cas en l’espèce.
En effet, un employeur qui prend connaissance, que ce soit par lui-même, par un tiers, comme en l’espèce par les médecins de contrôle ou par la victime elle-même d’un potentiel problème de harcèlement ou de violence, devra mener son enquête interne et recueillir toutes les informations nécessaires pour faire cesser le conflit, respectivement pour protéger la victime.
Or, en l’espèce l’employeur n’a pas agi en ce sens.
Dans ces circonstances, la Cour retient que l’employeur en procédant au licenciement, de surcroît avec effet immédiat, de sa salariée, victime de tels agissements et mis en incapacité de travail en raison de l’altération de sa santé psychique en découlant, au motif qu’elle ne s’est pas présentée à son lieu de travail à la date fixée par les médecins de contrôle la rendant ainsi coupable d’une absence
injustifiée de quatre jours, sans tenter de régler au préalable le problème relationnel à la base de l’incapacité de travail, a agi de manière intempestive et anormale.
Finalement et pour être complet, la Cour relève que la dépression de la salariée était bien réelle puisqu’il est résulté, certes neuf mois après le licenciement de la salariée, de l’avis de l’expert médical judiciaire nommé par le Conseil arbitral suite au recours exercé par la salariée contre les décisions de la CNS l’ayant déclarée apte au travail en date du 9 juin 2015 et 6 juillet 2015 « que Mme A a donc présenté un trouble dépressif d’intensité sévère (F32.2) avec une forte composante anxieuse suite à une situation ressentie comme conflictuelle au niveau de son travail. Elle a présenté des attaques de panique sévères l’empêchant de conduire sa
voiture. Elle présentait des troubles de sommeil et des ruminations anxieuses. Elle présentait une anhédonie avec une perte d’intérêt pour les activités de la vie quotidienne. Elle a présenté une tendance à l’isolement social.
Le trouble dépressif d’intensité sévère constaté dans le chef de la requérante était d’une nature et d’une intensité telles que Mme A était dans l’incapacité de reprendre son travail du 16 juin 2015 au 5 août 2015 inclus. »
Suite à cette expertise médicale, le recours de A a été déclaré fondé par un jugement du Conseil Arbitral de la Sécurité Sociale du 12 août 2016 lui permettant de bénéficier des indemnités pécuniaires de maladie pour la période du 16 juin 2015 au 5 août 2015 inclus, période de maladie contestée par l’employeur.
Ces éléments sont en instance d’appel de nature à conforter la Cour dans sa conviction que la salariée subissait des actes de violence morale sur son lieu de travail à la base de son absentéisme, auxquels l’employeur aurait dû remédier. Il suit des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de réformer le jugement entrepris et de déclarer le licenciement avec effet immédiat du 31 juillet 2015
abusif.
Abusivement licenciée avec effet immédiat, A a droit à une indemnité compensatoire de préavis qui, compte tenu de son ancienneté de service de quatorze années, est de six mois correspondant à la somme de 13.845,63 euros, sous réserve de déduction des indemnités de chômage perçues pendant la même période comme il sera développé ultérieurement à propos de la demande de l’ÉTAT, ainsi qu’à une indemnité de départ de deux mois, soit à la somme de 4.615,12 euros sur base des fiches de salaires versées en cause.
La salariée a également droit en principe à être indemnisée des préjudices tant matériel que moral subis suite au licenciement abusif, à la condition d’établir que ses préjudices sont avérés et en relation causale avec le licenciement. (C.S.J., 19/04/2018, 44623)