Allaitement. quand l’employeur veut vérifier votre corps.
Il y a des dossiers qui rappellent brutalement que certaines limites, pourtant évidentes, continuent d’être franchies dans le monde du travail.
Une jeune mère salariée revient de congé maternité. Dès les premiers jours, tout devient suspicion, reproche, remise en cause. Et l’un des points centraux de cette défiance porte sur son allaitement, que l’employeur finit par contester avec une insistance qui dépasse tout entendement.
Cette insistance conduit à une convocation médicale. Non pas chez son médecin.
Non pas auprès d’un tiers indépendant.
Mais chez un médecin désigné par l’employeur.
Et là, dans une salle fermée, dans un contexte hiérarchique où l’équilibre des forces est inexistant, il lui est demandé de montrer son sein, puis de le presser pour “démontrer” qu’elle allaite encore.
Avec, en filigrane, la menace d’un avertissement si elle refuse.
Il est difficile d’imaginer scène plus humiliante, plus disproportionnée, plus attentatoire à l’intégrité corporelle d’une femme. Et pourtant, lorsque ces faits ont été exposés à l’administration, la réponse a été la suivante : la loi ne prévoyant pas explicitement un contrôle de ce type, il ne serait pas possible d’en apprécier la légalité, ni d’y voir un acte de harcèlement.
Je crois qu’il est important de le dire clairement :
cette manière de raisonner est dangereuse.
Car ce n’est pas parce qu’aucun texte ne décrit expressément un scénario aussi invraisemblable qu’il devient acceptable. Ce n’est pas parce qu’un législateur n’a pas imaginé qu’une salariée puisse être contrainte de découvrir son sein qu’il faudrait considérer cet acte comme juridiquement neutre.
Il existe des textes, et ils sont bien plus fondamentaux que n’importe quelle précision technique :
ce sont ceux qui protègent la dignité humaine, l’intégrité du corps, la pudeur, le respect dû à chaque personne dans un rapport de travail.
Ce sont eux qui justifient l’existence même du dispositif contre le harcèlement moral.
Ce sont eux qui rappellent pourquoi le droit du travail existe : pour poser des bornes là où le rapport de forces empêche la personne de dire non.
Réduire un tel épisode à “l’absence de base légale spécifique”, c’est passer à côté de l’essentiel.
C’est oublier que la dignité humaine constitue le socle de toute la protection des salariés.
C’est méconnaître que le harcèlement moral n’est pas un catalogue d’hypothèses techniques, mais une réponse à des situations où une personne est écrasée, humiliée, ou placée dans une position incompatible avec le respect qu’elle est en droit d’attendre.
La dignité n’est pas un détail juridique.
Elle est le sommet de la pyramide.
Elle est la raison d’être de tout le reste.