Quand la direction enquête sur elle-même
La loi « impose » à l’employeur de diligenter une enquête « rapide, objective et impartiale » lorsqu’un salarié dénonce un harcèlement moral.
Mais que se passe-t-il lorsque la direction elle-même est visée ?
C’est ici que le système se fissure.
Dans la pratique, bien des entreprises confient encore ces enquêtes à des salariés internes : anciens cadres, responsables RH, collaborateurs liés par contrat à ceux qu’ils doivent interroger.
Le paradoxe est total : l’entreprise enquête sur elle-même.
Comment un salarié dépendant de la hiérarchie mise en cause pourrait-il réellement agir avec neutralité ?
Comment espérer une distance sereine quand l’enquêteur sait que ses conclusions seront lues, commentées, et validées par ceux-là mêmes qui l’emploient ?
Une enquête interne menée par un salarié de l’entreprise n’est pas seulement une erreur de méthode, c’est une atteinte au principe même d’impartialité.
Elle vide le dispositif de son sens et transforme ce qui devrait être un instrument de protection en outil défensif pour l’employeur.
Le Défenseur des droits en France l’a rappelé : lorsqu’une hiérarchie est concernée, l’enquête doit être externalisée.
Autrement dit, confiée à un tiers réellement indépendant : avocat, psychologue du travail, consultant spécialisé.
Ce principe devrait s’imposer partout, y compris au Luxembourg.
Une enquête n’est pas une formalité administrative.
C’est une procédure contradictoire, exigeante, encadrée, qui requiert confidentialité, méthode et compétence.
Or, dans de trop nombreux cas, ces trois exigences disparaissent : la confidentialité est rompue, les questions orientées, les victimes convoquées sans cadre.
Alors l’enquête ne devient plus une réponse au harcèlement, mais son prolongement institutionnel.
Une entreprise qui n’a rien à cacher n’a rien à craindre d’une enquête externe.
C’est même la seule façon d’apaiser, de restaurer la confiance, et de démontrer une réelle culture de responsabilité.
À l’inverse, celles qui persistent à « enquêter en interne » sur leurs propres fautes se condamnent à perdre ce qu’aucune procédure ne peut acheter : la crédibilité.
Tant que la loi ne précisera pas ce cas de figure, le système restera bancal.
Et tant que certains continueront d’enquêter sur eux-mêmes, la justice interne restera un théâtre d’ombres, où la lumière se fait toujours sur les autres, mais jamais sur soi.
David GIABBANI