Démission du salarié avec effet immédiat pour non-remise des fiches de salaire – nécessité d’une mise en demeure préalable
Or, l’omission de ce faire ne saurait, en l’espèce, être considérée comme une faute grave, de nature à rendre immédiatement impossible le maintien de la relation de travail.
C.S.J., III, 06.07.2023, Numéro CAL-2021-00311 du rôle
La Cour donne à considérer, à cet égard, que PERSONNE1.) – qui, au vu des pièces figurant au dossier, est d’ailleurs parti en vacances à l’étranger le 30 août 2018, malgré son incapacité de travail – n’établit pas s’être manifesté auprès de l’employeur au sujet de la non-remise des fiches de salaire, avant de démissionner en date du 3 septembre 2018.
Ce n’est, en effet, que dans un courrier de son mandataire du 14 décembre 2018, soit plus de deux mois après la démission, qu’il est question de la non- remise des fiches de salaire litigieuses, dans les termes suivants : « mon mandant m’informe que manquent à l’appel les fiches de salaire de juin, juillet, août et septembre. »
Suivant l’article L.124-10 (1) alinéa 1 du Code du travail, « Chacune des parties peut résilier le contrat de travail sans préavis ou avant l’expiration du terme, pour un ou plusieurs motifs graves procédant du fait ou de la faute de l’autre partie, avec dommages et intérêts à charge de la partie dont la faute a
occasionné la résiliation immédiate. »
La démission du salarié pour motif grave n’est soumise à aucune règle de forme et le salarié n’est partant pas obligé de communiquer les motifs de sa démission à l’employeur. Il suffit qu’il les énonce en cas d’action en justice intentée, afin de permettre aux juges d’apprécier si la résiliation immédiate a été occasionnée par une faute de l’employeur donnant lieu à des dommages- intérêts, respectivement si le salarié était autorisé à démissionner sans préavis.
Les motifs à la base de la démission avec effet immédiat doivent avoir existé au moment de la démission et, conformément à l’article L.124-10 (6) du Code du travail, ils ne doivent pas être antérieurs de plus d’un mois à la rupture de la relation de travail (cf. en ce sens : Cour d’appel, 19 décembre 2002, n°
26876 du rôle ; 10 décembre 2020, CAL-2018-00114).
En présence de faits ou fautes s’étant produits endéans ce mois, le salarié peut invoquer, à l’appui de sa démission, des faits ou fautes qui se sont produits antérieurement.
C’est, dès lors, à juste titre que le tribunal du travail a dit que, dans la mesure où le motif de démission tiré de la non-remise de la fiche de salaire du mois d’août 2018 avait trait à un fait se situant endéans le délai d’un mois à la date de la démission, le salarié pouvait invoquer des faits plus anciens à l’appui
dudit motif.
(…)
A l’instar du tribunal, la Cour retient qu’il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas encore avoir remis la fiche de salaire du mois de septembre 2018 au salarié le 3 septembre 2018, date de la notification de la démission.
Concernant la question de la remise des fiches de salaire des mois de juin à août 2018, il appartient à l’employeur d’établir que cette remise a eu lieu. La société SOCIETE1.) verse plusieurs attestations testimoniales qui ont été établies conformément aux exigences de forme prévues à l’article 402 du
Nouveau Code de procédure civile.
Elle produit, par ailleurs, une traduction française, émanant d’une traductrice assermentée, de l’attestation testimoniale établie en langue anglaise par PERSONNE4.).
Il résulte des attestations versées en cause qu’il était d’usage que PERSONNE7.), manager, remettait les fiches de salaire en mains propres aux salariés à la fin du mois écoulé, sinon au début du mois suivant.
Le témoin PERSONNE3.) déclare, en outre, se souvenir de ce que l’épouse de l’intimé s’était présentée au restaurant ADRESSE3.) durant l’été pour récupérer des documents, ce « à la période de la remise des bulletins » et suppose que le bulletin de paie figurait parmi ces documents.
L’intimé verse une attestation testimoniale établie par PERSONNE2.). Le fait que PERSONNE2.) est l’épouse de PERSONNE1.) n’implique pas qu’elle soit personnellement partie en cause dans le litige opposant ce dernier à son employeur, même à supposer que les époux soient mariés sous un régime
de communauté légale (cf. en ce sens : Cour d’appel, 25 février 2010, n° 34932 du rôle ; 5 novembre 2020, n° 44757 du rôle).
PERSONNE2.) affirme ne pas s’être rendue au restaurant ADRESSE3.) au début des mois de juillet, août et septembre 2018. Elle précise qu’elle était en Suisse et en Italie avec son époux entre le 30 août et le 15 septembre 2018. Par ailleurs, PERSONNE1.) aurait eu une entrevue avec un avocat le 5 juillet 2018 et les époux n’auraient pas pris le risque d’entrer en contact avec la société SOCIETE1.) autrement « que par écrit et par distance ».
Au vu des déclarations de l’épouse de l’intimé et du caractère imprécis de l’attestation de PERSONNE3.) quant à la date à laquelle PERSONNE2.) était venue chercher des documents, il faut retenir que l’employeur n’a pas rapporté la preuve de la remise des fiches de salaire des mois de juin, juillet et août
2018 à PERSONNE1.) ou à son épouse.
A admettre que ni le salarié, ni son épouse ne se soient présentés au restaurant pour récupérer les fiches litigieuses, il aurait appartenu à l’employeur d’envoyer les fiches de salaire à PERSONNE1.) par la voie postale.
Or, l’omission de ce faire ne saurait, en l’espèce, être considérée comme une faute grave, de nature à rendre immédiatement impossible le maintien de la relation de travail.
La Cour donne à considérer, à cet égard, que PERSONNE1.) – qui, au vu des pièces figurant au dossier, est d’ailleurs parti en vacances à l’étranger le 30 août 2018, malgré son incapacité de travail – n’établit pas s’être manifesté auprès de l’employeur au sujet de la non-remise des fiches de salaire, avant de démissionner en date du 3 septembre 2018.
Ce n’est, en effet, que dans un courrier de son mandataire du 14 décembre 2018, soit plus de deux mois après la démission, qu’il est question de la non- remise des fiches de salaire litigieuses, dans les termes suivants : « mon mandant m’informe que manquent à l’appel les fiches de salaire de juin, juillet, août et septembre. »
Contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal du travail, la Cour retient partant que la démission avec effet immédiat de PERSONNE1.) n’était pas justifiée, faute d’être fondée sur des motifs réels et sérieux.