Harcèlement sexuel et licenciement pour faute grave
Personne licenciée avec effet immédiat pour des faits de harcèlement sexuel. Le licenciement a été déclaré abusif alors qu’il ne reposait que sur une attestation testimoniale circonstanciée. Il est reproché à l’employeur de n’avoir jamais pris de mesure disciplinaire en interne, ce qui aurait permis d’étayer d’autres témoignages incomplets et imprécis. Les juges n’ont pas avalisé la méthode consistant à licencier un employé sur base des dires d’une collègue. Il est utile de rappeler qu’en pareille circonstance, l’employeur doit permettre le contradictoire à la personne visée par la plainte et recueillir les preuves lui permettant de prendre le cas échéant une décision aussi brutale.
C.S.J., 8.06.2023,
Aux termes de l’article L. 124-10 (6), alinéa 1 du Code du travail « le ou les faits susceptibles de justifier une résiliation pour motif grave ne peuvent être invoqués au-delà d’un délai d’un mois à compter du jour où la partie qui l’invoque en a eu connaissance, à mois que ce fait n’ait donné lieu dans le mois à l’exercice de poursuites pénales ».
Si l’employeur est, comme en l’espèce, tenu de procéder à un entretien préalable, il suffit que la convocation à l’entretien préalable ait eu lieu avant l’expiration du délai d’un mois (article L. 124-10 (6) alinéa 3 du Code du travail).
L’employeur soutient qu’il n’a eu connaissance des faits invoqués dans la lettre de licenciement qu’à partir du 5 mai 2017. Dans son attestation testimoniale, PERSONNE2.) affirme avoir révélé les faits reprochés à l’intimé en date du 5 mai 2017.
Aucun élément probant ne vient contredire cette déclaration qui correspond au dire de la partie appelante.
Aucun élément du dossier ne permet la conclusion que l’appelante aurait eu connaissance, avant cette date, des actes de harcèlement litigieux concernant d’autres personnes.
L’intimé a été convoqué à un entretien préalable au licenciement par courrier remis en main propre le 12 mai 2017.
Il suit de là que l’appelante n’a pas méconnu la disposition citée ci-dessus, ainsi que les juges de première instance l’ont décidé à bon droit.
L’article L. 124-10 (3) du Code du travail dispose ce qui suit : « La notification de la résiliation immédiate pour motif grave doit être effectuée au moyen d’une lettre recommandée à la poste énonçant avec précision le ou les faits reprochés au salarié et les circonstances qui sont de nature à leur attribuer le
caractère d’un motif grave ».
Les motifs communiqués au salarié licencié doivent être énoncés avec une précision suffisante non seulement pour permettre au juge d’exercer son contrôle, mais aussi pour permettre au salarié de savoir exactement ce qui lui est reproché, d’en apprécier le bien-fondé et de rapporter, le cas échéant, la
preuve de l’inexactitude des motifs communiqués par l’employeur (cf. not. Cour de cassation, 12.11.1992, arrêt n° 30/92).
En l’espèce, la lettre de licenciement, intégralement reproduite dans la requête introductive d’instance annexée au jugement dont appel, indique clairement la nature des faits reprochés à l’intimé, les personnes qui en auraient été les victimes, ainsi que les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ils auraient été commis, outre qu’elle relève ce qui leur confère une gravité particulière.
Il y a partant lieu d’approuver le jugement déféré, en ce qu’il retient que la lettre de licenciement en cause répond à l’exigence de précision édictée à l’article L. 124-10 (3) du Code du travail.
Il est rappelé qu’il appartient à l’employeur de prouver la réalité des motifs invoqués pour justifier le licenciement lorsque le salarié les conteste (article 124-11 (3) du Code du travail).
Il convient de constater qu’à l’exception de PERSONNE2.), aucun auteur d’attestation testimoniale ne relate des propos, gestes ou attitudes de PERSONNE1.) auxquels il aurait lui-même assisté et qui, à les supposer établis, seraient constitutifs d’un harcèlement sexuel.
Par ailleurs, aucun auteur d’attestation testimoniale ne déclare avoir entendu des propos de PERSONNE2.) à l’adresse de l’intimé, signifiant à ce dernier de mettre fin à un certain comportement ou, plus généralement, quelque désapprobation que ce soit.
A l’exception de celles établies par PERSONNE4.) et PERSONNE5.) (cf. pièces 13 et 14 de la farde I de l’appelante), ces attestations testimoniales ne contiennent que des relations de propos tenus par PERSONNE2.) au sujet de l’intimé ainsi que des ouï-dire concernant des actes de harcèlement – dont les
natures et circonstances ne sont cependant pas précisées dans les attestations – prétendument commis par PERSONNE1.) envers d’autres personnes. Quant à PERSONNE4.) et PERSONNE5.), elles font certes état de gestes déplacés de l’intimé à leur endroit, lesquels ont été mentionnés par l’employeur dans la lettre de licenciement après qu’il en ait obtenu connaissance dans le cadre de l’enquête interne consécutive aux accusations de PERSONNE2.), mais il ressort également de leurs attestations que de tels gestes ne se sont produits qu’une seule fois.
PERSONNE4.) précise à ce sujet qu’après avoir recadré et admonesté PERSONNE1.), celui-ci ne l’a plus jamais molestée (« Je lui ai dit de façon très sèche de ne jamais recommencer cela et que je n’hésiterai pas une seconde, si cela se reproduisait, d’aller en parler à la direction (…) Après cela, il n’y a plus eu aucun geste ou parole déplacée de la part de M. Guerre envers moi »).
Concernant le reproche de la partie appelante, selon lequel PERSONNE1.) aurait été « coutumier de tels agissements envers ses collègues de sexe féminin », la Cour relève que l’attestation testimoniale établie le 28 mars 2019 par PERSONNE6.) va dans le sens contraire (cf. pièce n° 10 de la farde I de
l’intimé).
PERSONNE6.) qui était membre du comité de direction de SOCIETE3.) et qui déclare que l’intimé travaillait sous son autorité entre 2006 et 2015, que son bureau était situé « à côté du sien » et que leurs contacts professionnels étaient quotidiens, assure qu’il n’a « jamais entendu, de la part de M. G, des propos tendancieux, indécents, blessants ou discriminatoires vis-à-vis de ses collègues », qu’il n’a « jamais observé de gestes ou d’attitudes inappropriés de sa part » et qu’il n’a pas jamais eu connaissance d’une
« quelconque plainte ou accusation à l’égard de M. G».
Compte tenu de la nature des reproches adressés à l’intimé, il n’est pas sans intérêt de relever que PERSONNE6.) précise, dans son attestation testimoniale, que son assistante partageait son bureau avec PERSONNE1.).
Il est constant en cause qu’avant le 5 mai 2017, PERSONNE2.) ne s’est jamais adressée à une autorité hiérarchique afin de se plaindre du comportement actuellement reproché à l’intimé et qu’elle ne s’en est pas non plus ouvert à l’occasion d’un entretien annuel d’évaluation.
A supposer que PERSONNE2.) ait réellement subi les actes de harcèlement sexuel réitérés reprochés à l’intimé et qu’elle ait enduré les souffrances dont elle se prévaut dans son attestation, il paraît peu vraisemblable qu’elle se soit abstenue d’entreprendre quelque démarche que ce soit auprès de sa hiérarchie, de son organisation syndicale ou des autorités étatiques compétentes, alors que ni son attestation ni les écritures de l’appelante ne mettent en évidence une quelconque menace tant soit peu réelle et sérieuse à laquelle elle aurait été exposée en agissant de la sorte.
Il est relevé par ailleurs qu’il n’est pas contesté que les parties au litige avaient engagé, au début de l’année 2017, des pourparlers en vue d’un « départ négocié » de l’intimé, lequel aurait engendré le payement d’indemnités considérables eu égard à l’ancienneté de l’intimé ; que toutes les attestations
testimoniales ont été établies avant la date de l’entretien préalable, à la demande de l’appelante, et que l’intimé avait auparavant refusé plusieurs fois à PERSONNE2.), pour des raisons indépendantes de sa personne, l’obtention d’un poste administratif lui permettant de s’occuper davantage de ses enfants
(cf. conclusions récapitulatives de l’intimé, page 6).
La Cour constate d’autre part que, si les déclarations de PERSONNE2.) ne recèlent aucune contradiction et qu’elles ne sont contredites par aucun fait avéré, elles ne sont étayées par aucun témoignage direct ni aucun autre élément probant, sauf en ce qui concerne le baiser que l’intimé lui a donné dans un ascenseur dans des circonstances non précisées, lequel a été avoué par l’intimé.
Dans ces conditions, face aux contestations de l’intimé, il laisse d’être prouvé avec certitude, à l’exclusion d’un doute raisonnable, que l’intimé aurait commis envers PERSONNE2.) les actes de harcèlement décrits dans la lettre de licenciement, hormis le fait reconnu par ce dernier de lui avoir donné un baiser dans un ascenseur. Il n’est pas précisé dans quelles circonstances ce baiser a été donné par l’intimé à PERSONNE2.), de sorte qu’il y a lieu de retenir qu’aucune circonstance particulière (anniversaire, promotion, noël, nouvel an, …), ne pouvait tant soit peu le justifier.
Cet acte déplacé et blâmable était certes de nature à justifier une réaction forte de la part de PERSONNE2.), mais aussi de la part de l’employeur, afin que de$ tels actes ne se reproduisent plus.
Pour autant, cet acte n’était de nature à rendre immédiatement et définitivement impossible le maintien des relations de travail (article L. 124- 10 (2) du Code du travail), et partant à justifier un licenciement avec effet immédiat, d’autant que l’intimé présentait une ancienneté de plus de quinze ans et qu’il n’avait jamais fait l’objet d’une quelconque mesure disciplinaire, ainsi que la juridiction du premier degré l’a retenu à bon droit.
(…)
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris, en ce qu’il a déclaré abusif le licenciement litigieux.