Relation au bureau et risque pour un manager

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant : 

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 11 octobre 2017), qu’engagé le 3 avril 2000 par la société Transdev Ile-de-France en qualité de responsable d’équipe pour exercer au dernier état de la relation contractuelle les fonctions de responsable d’exploitation, M. G… a été licencié pour faute grave le 31 juillet 2014, pour des faits de harcèlement sexuel ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident de l’employeur pris en ses deux premières branches qui est préalable :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de dire que le licenciement ne repose pas sur une faute grave et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité de licenciement, de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et de congés payés afférents, alors, selon le moyen :

1°/ que le harcèlement sexuel est constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à la dignité de la victime en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; que le fait pour un salarié d’abuser de son pouvoir hiérarchique dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles constitue un harcèlement sexuel ; que les faits constitutifs d’un harcèlement sexuel lorsqu’ils sont établis s’analysent nécessairement en une faute grave ; que la cour d’appel a constaté que M. G… était le supérieur hiérarchique de Mme I…, à laquelle il avait envoyé de manière répétée des SMS à caractère pornographique par l’intermédiaire de son portable professionnel ; qu’en retenant que les faits reprochés à M. G… ne constituaient pas un harcèlement sexuel constitutif d’une faute grave, au motif inopérant de l’attitude ambigu adoptée par la salariée destinataire des SMS pornographiques de son supérieur hiérarchique, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1153-1 et L. 1153-6 du code du travail ;

2°/ que les juges ne peuvent écarter les prétentions d’une partie sans analyser l’ensemble des documents fournis par elle à l’appui de ses prétentions ; qu’en l’espèce, la société SA Transdev Ile-de-France faisait valoir que Mme I… avait été contrainte, en raison de la situation subie, de consulter un psychologue pour dépression ; qu’elle produisait notamment une note d’honoraire pour une consultation psychologique ; qu’en affirmant péremptoirement, pour décider que le harcèlement sexuel n’était pas caractérisé, que Mme I… avait adopté un comportement ambigu à l’égard du salarié, sans à aucun moment analyser, ne serait-ce que sommairement, le document attestant de l’incidence sur la santé mentale de Mme I… des pratiques harcelantes du salarié, la cour d’appel a violé les articles 455 du code de procédure civile, et 1353 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, sans avoir à entrer dans le détail de l’argumentation des parties ni à s’expliquer sur les pièces qu’elle décide d’écarter, d’une part que la salariée se plaignant de harcèlement sexuel avait répondu aux SMS du salarié, sans que l’on sache lequel d’entre eux avait pris l’initiative d’adresser le premier message ni qu’il soit démontré que ce dernier avait été invité à cesser tout envoi, et qu’elle avait, d’autre part, adopté sur le lieu de travail à l’égard du salarié une attitude très familière de séduction, la cour d’appel, qui a fait ressortir l’absence de toute pression grave ou de toute situation intimidante, hostile ou offensante à l’encontre de la salariée, en a exactement déduit que l’attitude ambiguë de cette dernière qui avait ainsi volontairement participé à un jeu de séduction réciproque excluait que les faits reprochés au salarié puissent être qualifiés de harcèlement sexuel ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le pourvoi principal du salarié, pris en son premier moyen et en ses première et deuxième branches du second moyen, réunis :

Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de dire son licenciement fondé non sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse et de rejeter sa demande en paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :

1°/ que constitue un fait relevant de la vie personnelle du salarié faisant obstacle à la qualification de faute par l’employeur l’utilisation par un salarié de son téléphone professionnel pour procéder à des échanges de messages téléphoniques SMS privés avec un autre salarié ; qu’en déclarant que l’envoi des SMS de son téléphone professionnel à une salariée dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail ne relève pas de la vie privée du salarié, la cour d’appel a violé les articles L. 1121-1 et L. 1235-1 du code du travail, ensemble les articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

2°/ que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que les messages écrits, « short message service » (SMS) envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail, sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur est en droit de les consulter en cas de plainte du destinataire pour harcèlement sexuel, il ne peut les utiliser à son encontre dans une procédure judiciaire de licenciement s’ils ne s’avèrent pas constitutifs d’un harcèlement sexuel mais relèvent de sa vie privée ; qu’en décidant, après avoir constaté que Mme I… avait reconnu s’être amusée à répondre aux messages téléphoniques SMS du salarié et avait adopté un comportement ambigu à son égard exclusif de l’existence d’un harcèlement moral, que les propos écrits de celui-ci caractérisaient un comportement incompatible avec les responsabilités du salarié, la cour d’appel a violé les articles L. 1121-1 et L. 1235-1 du code du travail, ensemble les articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

3°/ qu’en décidant, après avoir constaté que Mme I… avait reconnu s’être amusée à répondre aux messages écrits, « short message service » (SMS) du salariée et qu’elle avait adopté un comportement ambigu à son égard, que compte tenu de sa qualité de supérieur hiérarchique de cette salariée, les propos tenus dans ses SMS par M. G… caractérisaient un comportement incompatible avec ses responsabilités justifiant son licenciement, la cour d’appel, qui n’a pas précisé la nature et le fondement de cette incompatibilité, n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1 et L. 1235-1 du code du travail, ensemble des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

Mais attendu qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que le salarié, exerçant les fonctions de responsable d’exploitation d’une entreprise comptant plus de cent personnes, avait, depuis son téléphone professionnel, de manière répétée et pendant deux ans, adressé à une salariée dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail et dont il était le supérieur hiérarchique, des SMS au contenu déplacé et pornographique, adoptant ainsi un comportement lui faisant perdre toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses responsabilités, la cour d’appel a pu en déduire que ces faits se rattachaient à la vie de l’entreprise et pouvaient justifier un licenciement disciplinaire ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les troisième à huitième branches du second moyen du pourvoi principal annexé qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident de l’employeur pris en sa troisième branche :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de dire que le licenciement ne repose pas sur une faute grave et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité de licenciement, de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et de congés payés afférents, alors, selon le moyen que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ; qu’à supposer même qu’il ne puisse recevoir la qualification de harcèlement sexuel stricto sensu, le comportement d’un supérieur hiérarchique consistant à adresser de manière répétée et très insistante des messages SMS licencieux et même à caractère pornographique, à partir de son téléphone portable professionnel, constitue une faute grave justifiant un départ immédiat du salarié de l’entreprise ; que la cour d’appel a constaté qu’il était établi que le salarié avait de manière répétée et insistante adressé à Mme I… des SMS au contenu déplacé et même pornographique, la salariée victime de ce comportement ayant finalement alerté son employeur et déposé une main-courante ; qu’il ressortait encore de ses constatations que l’employeur avait réagi de manière immédiate dès qu’il avait eu connaissance du comportement gravement déplacé du salarié, qu’il avait aussitôt mis à pied et convoqué à un entretien préalable, sans donc nullement tolérer le comportement en cause ; qu’il ressort enfin des constatations de la cour d’appel que dans la lettre de licenciement l’employeur avait pris soin de préciser au salarié que « soit votre comportement relève du harcèlement sexuel, soit à tout le moins il est immoral et en incompatibilité totale avec les fonctions que vous occupez » ; qu’en écartant néanmoins l’existence d’une faute grave, la cour d’appel a violé l’article L. 1234-9 du code du travail ;

Mais attendu qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que le salarié avait envoyé, depuis son téléphone professionnel, de manière répétée et durable entre 2011 et 2013, des SMS au contenu déplacé et pornographique à une salariée avec laquelle il était entré dans un jeu de séduction réciproque, la cour d’appel a pu en déduire que ces faits n’étaient pas constitutifs d’une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ; qu’exerçant les pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 1235-1 du code du travail, elle a décidé que ces faits constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois tant principal qu’incident ;