Résiliation d’un commun accord – dol – requalification en licenciement abusif (oui)

Au service de la société S1 comme femme de ménage depuis le 11 janvier 2010, A soutient, qu’en date du 27 août 2015, l’employeur l’a informée de sa volonté de mettre un terme à la relation de travail et qu’il lui a présenté pour signature, au choix, une lettre de licenciement avec un préavis de quatre mois ou une résiliation d’un commun accord ainsi qu’un nouveau contrat de travail avec une société tierce prenant effet au 1er septembre 2015, qu’après avoir refusé toute signature afin de bénéficier d’un délai de réflexion jusqu’au lendemain matin, l’employeur lui a confirmé que, même après signature de la résiliation, il était en mesure d’annuler ledit document le lendemain en cas de besoin.


Au vu de cette promesse, A admait avoir finalement signé tant la résiliation d’un commun accord que le contrat de travail avec la tierce entreprise, la société S2, cette dernière ayant d’ailleurs déjà apposé d’avance sa signature sur ledit contrat.


Elle a cependant dû constater dès le 28 août 2015, lorsqu’elle s’est présentée au siège de la société intimée afin d’y solliciter l’annulation des documents signés, que la société anonyme S1 refusait de tenir son engagement de la veille.
Faisant valoir que sa volonté n’était pas éclairée et que son consentement n’a pas été donné librement, mais qu’il n’était que le résultat du comportement abusif de la société défenderesse, A considère que son consentement a été vicié et elle conclut à la nullité de la résiliation, sur base de l’article 1116 du Code civil, pour cause de dol.Elle soutient à cet égard que les affirmations mensongères de son ancien employeur, lui assurant qu’il n’allait pas s’opposer à la rétractation des documents signés la veille, ont été déterminantes quant à sa volonté de signer la résiliation d’un commun accord.La société S1 explique que suite à sa décision d’externaliser son service d’entretien et de nettoyage, elle a confié cette mission à la société S2 tout en obtenant de la part de cette dernière l’engagement de reprendre, le cas échéant, à son service les deux femmes de ménage qui travaillaient en son sein et notamment l’appelante.C’est ainsi qu’après avoir informé sa salariée dès le 25 août 2015 des changements à venir, elle l’a fait convoquer en date du 27 août 2015 en lui présentant les deux options qui s’offraient à elle, à savoir :
– soit être licenciée pour raisons économiques avec un préavis de quatre mois et les indemnités légales en découlant ;
– soit procéder à la résiliation d’un commun accord de son contrat de travail avec signature concomitante d’un nouveau contrat de travail avec la société S2, cette dernière solution assurant à la salariée le maintien de son emploi sans période d’interruption et à des conditions salariales plus avantageuses.

La société intimée explique encore lui avoir remis à cette occasion tous les documents lui permettant d’être pleinement éclairée quant aux options se présentant à elle, à savoir : la lettre de licenciement (non signée), la rupture d’un commun accord, ainsi que le nouveau contrat de travail avec la société S2, ce dernier ayant d’ores et déjà été signé par le futur employeur potentiel afin de garantir à la salariée la sécurité du réemploi proposé. Elle fait par ailleurs valoir que lors de l’entretien, la requérante a eu l’occasion de discuter par la voie téléphonique avec ce dernier.Considérant avoir pris toutes les précautions nécessaires dans l’intérêt de la salariée, la société anonyme S1 conteste toute manœuvre, toute tromperie, tout mensonge ou silence constitutif d’une réticence dolosive, ainsi que toute intention de nuire de sa part et fait valoir que la salariée a librement choisi la sécurité de l’emploi en apposant sa signature sur les documents dont elle sollicite actuellement la nullité.Concernant la validité de la résiliation d’un commun accord du 27 août 2015, la Cour relève que l’accord doit être donné librement. Tout accord qui serait obtenu par violence, dol ou erreur, serait en principe nul.Le vice du consentement peut consister en des pressions ou menaces de l’employeur de contraindre le salarié à accepter cette rupture « négociée » malgré le fait qu’il s’agit d’une convention désavantageuse pour lui, en ce sens qu’elle lui fait perdre des indemnités importantes ; elle peut encore consister en une erreur sur l’objet de l’accord, une méprise du salarié sur les conséquences de l’accord conclu, en ce sens que le salarié ignorait qu’il ne pourrait bénéficier avec certitude des allocations de chômage.En effet, aux termes de l’article 1116 du Code civil : « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté.. », avec la considération que le dol peut être constitué par un simple mensonge.Comme le dol ne se présume pas, la partie qui s’en prévaut doit le prouver.La salariée doit partant non seulement prouver l’existence des manoeuvres dolosives, du mensonge invoqué, mais encore que l’auteur du dol, en l’espèce l’employeur, a agi intentionnellement pour la tromper, et enfin, que ce dol a été déterminant de son consentement, partant que sans ces manoeuvres, sans ce mensonge, elle n’aurait pas signé la résiliation d’un commun accord.Le juge doit quant à lui, examiner « in concreto » quelle a été la liberté de jugement de la salariée ; quelle analyse convenable elle a pu faire, en fonction de sa position dans l’entreprise, de sa qualification, de sa compétence.Il vérifiera que le consentement de la salariée a été librement obtenu, faute de quoi, il requalifiera cette rupture d’un commun accord en un licenciement (Encyclopédie Dalloz TRAVAIL. contrat de travail à durée indéterminée : vo. Modes de rupture).En l’espèce, il est résulté des déclarations faites lors de la comparution personnelle des parties que la salariée a été surprise en date du 27 août 2015 par la décision de B, qui s’est présentée en représentation de la société S1, de terminer son contrat de travail soit par un licenciement pour motif économique, soit par une résiliation d’un commun accord, suivie de la signature d’un contrat de travail avec une société S2 ; que la salariée qui a demandé un temps de réflexion jusqu’au lendemain, s’est vu refuser ce délai par B ; que la salariée a signé la résiliation alors que B lui avait indiqué qu’elle pourrait venir la rétracter le lendemain « je n’étais pas forcément contre l’idée de changer », que la salariée est revenue le lendemain, 28 août 2015 pour rétracter sa résiliation d’un commun accord, demande qui de toute évidence n’a pas été acceptée par B, puisque la Cour en est toujours saisie.Il suit des considérations qui précèdent qu’A, dont le statut de femme de ménage au sein de la société S1 ne lui conférait pas forcément les connaissances nécessaires pour évaluer en si peu de temps les conséquences pour elle des deux actes que l’employeur lui demandait de signer, prise de court et sans possibilité de réflexion, mais avec l’espoir qu’elle pourrait revenir sur sa signature le lendemain, ce qui ne fut pas le cas, a subi des manœuvres dolosives, notamment par un mensonge de la part de son employeur qui l’a trompée et dès lors a vicié son consentement.La Cour tient encore à relever que l’empressement de la société S1 d’externaliser son service de nettoyage, donc de se défaire de ses deux femmes de ménage, s’explique par le fait qu’A, qui se plaignait depuis plusieurs jours d’un mal à l’épaule et qui avait indiqué vouloir consulter un médecin, risquait, en cas de mise en maladie, de compromettre les projets de son employeur.Finalement et contrairement aux allégations de la société S1, le nouveau contrat de travail qu’A devait signer avec la sàrl S2 ne lui était pas plus favorable. Au contraire, il prévoyait une période d’essai et une rémunération mensuelle moindre.Il est encore résulté des éléments de la cause que la sàrl S2 a licencié pendant la période d’essai la collègue d’A et comme elle, anciennement femme de ménage auprès de la société S1.Cette sàrl S2 a également licencié A qui se trouvait en incapacité de travail.Il en résulte que tant la société S1 que la sàrl S2 se sont séparées rapidement et à moindre coût des deux femmes de ménage.Au vu des développements faits ci-avant, la Cour ne tiendra pas compte des attestations testimoniales versées par l’employeur, qui ne sont pas de nature, en présence des déclarations claires et pertinentes faites par B lors de la comparution personnelle des parties, à les contredire.Il n’y a pas lieu non plus, au vu de la décision prise par la Cour, d’analyser plus à fond le moyen soulevé par la salariée selon lequel elle aurait été en période de maladie au moment du licenciement, donc protégée contre ce dernier.La résiliation d’un commun accord est partant à requalifier en licenciement, licenciement de surcroît abusif « ab intio » en raison du dol avéré dans le chef de l’employeur.Le jugement est partant à réformer à cet égard.