Primes impayées et objectifs à atteindre
« Pour déclarer la demande du chef de primes fondée pour un montant de 67.857,96 €, le tribunal a motivé sa décision de la façon suivante:
« Il est encore constant en cause que pour l’année 2010, un objectif en termes de chiffre d’affaires à atteindre n’a pas été établi.
Il résulte des déclarations écrites du Dr C que des objectifs à atteindre pour les années 2011 et 2012 n’ont été définis qu’au cours des assemblées du Conseil d’administration tenues respectivement en novembre 2011 et en août 2012.
Il y a lieu de constater que la partie défenderesse ne verse aucun document relatif à une définition d’objectifs à atteindre effectués en fin d’année pour l’année suivante ou en début d’année pour l’année en cours.
C’est à juste titre que la partie requérante fait valoir que les objectifs à atteindre définis en novembre 2011 pour l’année 2011 et en août 2012 pour l’année 2012 ne peuvent pas être pris en considération pour déterminer si le requérant a droit au paiement de la prime prévue au contrat de travail.
En effet, le contrat de travail prévoit clairement que les objectifs à atteindre dont dépend le paiement d’une prime sont à déterminer « au préalable » ( « zuvor »). Permettre au Conseil d’administration de ne fixer les objectifs à atteindre que vers la fin de l’exercice en cours reviendrait à soumettre le paiement d’une prime à son bon vouloir, dans la mesure où il aurait, dans ce cas, la possibilité de définir délibérément des objectifs hors de portée.
Il résulte de ce qui précède que la société défenderesse n’a pas établi avoir fixé à l’avance des objectifs à atteindre pour les années 2010 à 2012.
En omettant de fixer au préalable les objectifs financiers pour les exercices concernés, la société défenderesse a empêché l’accomplissement de la condition de l’allocation d’un bonus au requérant.
L’article 1178 du Code civil prévoit que « La condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement. »
En application du principe énoncé à l’article prémentionné, il y a lieu de retenir que la partie défenderesse ne peut pas se retrancher derrière son omission de définir les objectifs à atteindre au préalable pour décider unilatéralement du non-paiement de bonus au requérant pour les années 2010, 2011 et 2012. Il s’y ajoute que la partie défenderesse n’a pas fourni d’éléments permettant de contredire les pièces comptables versées par la partie requérante dont il résulte que le chiffre d’affaires de la société A a constamment augmenté entre 2009 et 2012.
Au vu de ce qui précède, le requérant a partant droit au paiement d’un bonus équivalent à trois mois de salaire pour chacune des années concernées.
C’est cependant à bon droit que la partie défenderesse relève que le montant du salaire mensuel à prendre en compte à titre de base de calcul des bonus respectifs ne peut être supérieur au salaire mensuel brut effectivement perçu par le requérant au cours des années visées….
La société appelante A S.A. fait valoir que c’est à tort que le tribunal a considéré que les objectifs de chiffre d’affaires pour les années 2011 et 2012 ne pouvaient pas être fixés en cours d’année ou vers la fin de l’année.
A cet égard, la société A S.A. fait valoir que fixer les objectifs au cours de l’année permet de fixer des objectifs réalisables en se basant sur des chiffres effectivement atteints pendant l’année.
Elle dit que les chiffres d’affaires réalisés en 2011 et 2012 sont restés en-dessous des objectifs fixés pour ces deux années et qu’B n’a dès lors pas droit aux primes pour ces années.
En ce qui concerne l’année 2010, pour laquelle elle admet qu’aucun objectif n’a été fixé, elle prétend que c’est à tort que le tribunal a fait application de l’article 1178 du code civil, dès lors que l’omission de fixer des objectifs ne lui est pas imputable, mais est imputable totalement ou du moins partiellement à B qui a été l’un de ses fondateurs, était administrateur, détenteur de l’autorisation d’établissement et actionnaire, et qui, tout en jouant un rôle actif au sein du conseil d’administration, a omis de prévoir, pendant les réunions du conseil d’administration, la fixation des objectifs de chiffre d’affaires.
Pour le cas où la Cour estimerait que la fixation des objectifs de chiffre d’affaires des années 2011 et 2012 aurait dû être faite au préalable, la société A S.A. reprend son argumentation de la non-imputabilité de l’omission développée à propos de l’année 2010.
Relativement à l’année 2010, pour laquelle aucun objectif n’a été fixé, l’intimé B soutient que le tribunal a à juste titre déclaré fondée sa demande sur base de l’article 1178 du code civil, étant donné que la société A S.A., en ne fixant pas d’objectif, a empêché l’accomplissement de la condition de l’allocation d’un bonus.
Pour dire qu’il est resté étranger à la non-réalisation de la condition de fixation d’un objectif, B soutient que chaque fois que le conseil d’administration devait se réunir, il a demandé, mais en vain, que la question de la réalisation des objectifs à atteindre et surtout la question du paiement de son bonus contractuel soient portées à l’ordre du jour.
Relativement aux années 2011 et 2012, B soutient que c’est à juste titre que le tribunal a considéré que les objectifs auraient dû être fixés avant le début de l’année ou tout à fait au début de l’année et qu’à défaut de fixation à ces dates, la condition de la fixation des objectifs a été empêchée par l’employeur de sorte qu’en vertu de l’article 1178 du code civil, il y a lieu de considérer que la fixation s’est opérée.
Pour le cas où la Cour admettrait que la fixation des objectifs pourrait en principe se faire en cours d’année ou à la fin de l’année, B, contestant les pièces et l’attestation versées par la société A S.A., soutient qu’il n’y a pas eu fixation en cours d’année ou en fin d’année, de sorte que l’article 1178 doit opérer.
Dans un ordre plus subsidiaire, B se prévaut du caractère irréaliste des objectifs.
Il résulte de la combinaison du terme « zuvor » avec les termes « Ende des Geschäftsjahres », termes qui visent une année entière, que la « Zielerreichungsgrenze » doit être fixée, comme l’ont dit à juste titre les juges de première instance, avant le début ou tout au début des « Geschäftsjahres ».
Pour aucun des exercices litigieux il n’y a eu fixation au moment prévu par l’article 3.
Il y a dès lors lieu d’examiner si en vertu de l’article 1178 du code civil, base invoquée par B pour obtenir paiement des primes, la fixation préalable peut être réputée accomplie.
Pour que l’article 1178 du code civil puisse jouer, il faudrait que la fixation préalable par l’employuer de la « Zielerreichungsgrenze des Umsatzes der Gesellschaft » soit une condition au sens des articles 1168 et suivants du code civil.
L’obligation est conditionnelle lorsqu’on la fait dépendre d’un évènement futur et incertain.
Comme on ne pourrait concevoir que l’évènement soit incertain pour les parties si elles en avaient la maîtrise exclusive, la condition doit porter sur un évènement soumis en partie au moins à des circonstances casuelles, indépendantes de la volonté des contractants . Il faut qu’il y ait extériorité de l’évènement par rapport à la volonté des parties. (cf. J.CL civil, Contrats et obligations, obligations conditionnelles, caractères de la condition, code civil Art. 1168 à 1174, No 25).
Puisqu’en l’occurrence la fixation de la « Zielerreichungsgrenze des Umsatzes » ne se fonde pas sur des éléments extérieurs, c’est-à-dire des éléments objectifs susceptibles de contrôle, il n’y a pas condition. De la sorte, l’article 1178 du code civil n’entre pas en jeu et B n’est par conséquent pas fondé à dire qu’on doit considérer qu’il y a eu fixation préalable d’objectifs de chiffre d’affaires.
L’article 1178 du code civil se préoccupe de l’hypothèse de tricherie d’un débiteur sous condition suspensive empêchant l’accomplissement de l’évènement qui le charge (cf. JCL op. cit., mécanisme de condition, Art. 1175 à 1180, No 58).
A admettre à titre superfétatoire qu’il y ait en l’occurrence condition, l’article1178 du code civil ne saurait jouer, la tricherie n’existant de toute façon pas dans le chef de la société A S.A., B ayant été associé au mécanisme de la fixation et n’ayant pas prouvé qu’il a fait des démarches pour qu’une fixation préalable intervienne. » (C.S.J., 07/01/2016, n°41659 du rôle)