Interdiction du voile en entreprise

Même si les conclusions de l’avocat général ne lient pas la Cour de justice de l’Union Européenne, (la mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l’affaire dont ils sont chargés), sa position ne manque pas d’intérêt dans le débat sur le port des signes ostentatoires au sein de l’entreprise.

En Belgique, une salariée réceptionniste annonce à son employeur sa décision de porter le voile pendant ses heures de travail.

Dans un premier temps, l’employeur lui rappelle une règle non écrite (un usage) qui prévôt dans l’entreprise selon laquelle, les salariés n’étaient pas autorisés à porter au travail de signes de convictions religieuses, politiques ou philosophiques. Il modifie dans un second temps le règlement intérieur de l’entreprise afin de fixer cette interdiction.

La salariée a maintenu ses positions et l’employeur l’a licenciée.

Pour la salariée, il s’agit d’un licenciement abusif et discriminant. Elle este donc en justice pour obtenir réparation. Voyant ses demandes rejetées au fond, elle se pourvoit en cassation. Les Hauts magistrats saisissent la CJUE en interprétation de la directive européenne anti-discrimination (dir. 2000/78/CE du 27 novembre 2000) afin de rendre une décision conforme à la législation Européenne.

Pour rappel, un renvoi préjudiciel devant la CJUE permet aux juridictions des Etats membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. Si la CJUE ne tranche pas le litige national, la juridiction nationale doit le faire conformément à la décision de la Cour. Il en résulte que la décision de la CJUE lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire. De fait, elle représente un intérêt particulier pour l’avocat en matière d’interprétation des textes.

La CJUE est donc questionnée sur l’interprétation de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 qui interdit dans un cadre général toute discrimination directe ou indirecte, notamment  fondée sur la religion ou les convictions. S’il est permis aux Etats membres de l’Union de prévoir une différence de traitement elle ne peut être effective que si elle est justifiée  par la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, et lorsque la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante. En tout état de cause, l’objectif doit être légitime et l’exigence proportionnée.

Le cadre étant sujet à interprétation, les Hauts magistrats ont posé cette question à la CJUE : la directive doit-elle être interprétée en ce sens que l’interdiction de porter un foulard en tant que musulmane sur le lieu de travail ne constitue pas une discrimination directe lorsque la règle en vigueur chez l’employeur interdit à tous les travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes extérieurs de convictions politiques, philosophiques ou religieuses ?

Dans ce cas d’espèce, l’avocat général à la CJUE expose sa position en deux points :

–          « l’interdiction faite à une travailleuse de religion musulmane de porter au travail un foulard islamique ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion, dès lors que cette interdiction s’appuie sur un règlement général de l’entreprise interdisant les signes politiques, philosophiques et religieux visibles sur le lieu de travail et ne repose pas sur des stéréotypes ou des préjugés relatifs à une ou plusieurs religions déterminées ou aux convictions religieuses en général. Dans un tel cas, il n’y a en effet pas de traitement moins favorable fondé sur la religion ».

–          Pour autant, cette interdiction est susceptible de défavoriser particulièrement les personnes ayant une certaine religion ou conviction et notamment les travailleuses de religion musulmane. Elle peut donc provoquer une discrimination indirecte. Toutefois, cette discrimination indirecte «  pourrait être justifiée pour mettre en œuvre, dans l’entreprise concernée, une politique légitime de neutralité fixée par l’employeur en matière de religion et de convictions, pour autant que le principe de proportionnalité soit respecté ».

A la lumière de cette position, qu’il convient encore de prendre au conditionnel faute de décision de la CJUE, pour justifier une position d’interdiction, l’employeur devrait veiller à ce que  les restrictions posées soient bien générales, et qu’elles s’appliquent sans distinctions politiques philosophiques et religieux. Une pratique religieuse ne saurait être plus limitée qu’une autre.

Il conviendrait également de s’assurer de la proportionnalité de la mesure prise en prenant notamment en considération :

–          la taille et le caractère ostentatoire du signe religieux ;

–          la nature de l’activité de la travailleuse ;

–          le contexte dans lequel elle doit exercer son activité ;

–          ainsi que l’identité nationale de l’État membre concerné.

Rappelons, qu’une mesure restrictive peut également se justifier par un impératif d’hygiène et de sécurité.

En fait, « alors qu’un travailleur ne peut pas « laisser au vestiaire » son sexe, sa couleur de peau, son origine ethnique, son orientation sexuelle, son âge ni son handicap dès qu’il pénètre dans les locaux de son employeur, on peut en revanche attendre de lui une certaine retenue pour ce qui concerne l’exercice du culte au travail, que ce soit en matière de pratiques religieuses, de comportements motivés par la religion ou, comme en l’espèce, de tenue vestimentaire […] ».

Nous ne manquerons pas de vous informer de la position retenue par la CJUE.

Cour de justice de l’Union européenne COMMUNIQUE DE PRESSE n° 54/16 Luxembourg, le 31 mai 2016 Conclusions de Mme l’avocat général dans l’affaire C-157/15 Samira Achbita et Centrum voor gelijkheid van kansen en voor racismebestrijding / G4S Secure Solutions NV.

https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2016-05/cp160054fr.pdf